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Hôtel (très) particulier

Hôtel (très) particulier
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19 août 2014

Hôtel (très) particulier , nouvelle humoristico-fantastique, pour tous

Grottes_de_Folx-les-Caves_01

 

HÔTEL (TRES) PARTICULIER

 

ou les fantastiques vacances des époux Galopin et de leur fille Juliette

 

1

 

Nous avions choisi pour nos vacances un hôtel en pleine campagne, dont la particularité était qu’il était en partie souterrain. Cela nous changerait des éternelles chambres faites toutes sur le même modèle et numérotées de 1 à 100 avec un code à l’entrée ou une carte magnétique qu’il fallait passer au moins dix fois rapidement pour  que la porte s’ouvre enfin. Ici, pas de clés, pas de codes, juste une lourde porte de bois qu’il fallait bien repousser pour ne pas sentir l’air glacé des couloirs. On accédait aux chambres par des tunnels, des labyrinthes, des passerelles et des toboggans, on nous avait promis un séjour original, là, on était servi. Le parcours était fléché, fort heureusement, et comment dire, ajusté à la clientèle du moment. Le premier panneau que nous rencontrâmes était le suivant, il disait : Jacques, connaissant ton sens de l’orientation, laisse plutôt Nicole te guider ! Mince alors, nous venions ici pour la première fois, et le patron connaissait déjà nos habitudes et nos faiblesses. Au bout d’un long couloir à peine éclairé par une torche, je lus ceci : Nicole, tourne sur ta droite et dis à Jacques de se baisser, sinon, il va se faire une bosse, comme d’habitude !  Je me mis à éclater de rire et mon rire partit en écho jusqu’au prochain virage sur lequel il alla s’écraser mollement avec un rire quasiment sardonique !  Juliette se mit à pleurer.  Instantanément un panneau s’éclaira devant nos yeux ébahis, qui disait ceci en lettres rouges flamboyantes : Sanglots interdits, sous peine d’exclusion.  Nous trouvâmes ce conseil très sage, mais au lieu de l’apaiser, cela  redoubla les sanglots de Juliette.  Nouveau panneau un peu plus loin : enfants timorés et peureux, s’abstenir !

 Nous étions arrivés à la passerelle, qui traversait une espèce de gouffre aux eaux tumultueuses et assourdissantes, nous nous serions bien bouché les oreilles sans le panneau d’interdiction de l’entrée :  bouchons d’oreille  et tout autres anti-bruits interdits sous peine d’amende.  Nous traversâmes la passerelle en courant, Jacques nous avait devancées de plusieurs longueurs quand il se trouva nez-à-nez avec la pancarte  suivante : Jacques, tu es un dégonflé ! Retourne en arrière  et va rejoindre ces dames ! Quand j’arrivai à sa hauteur, le panneau s’éteignit, mais pas assez vite pour que j’en ignore le contenu. Décidément, cet hôtel était destiné à mettre la zizanie dans le couple, ou quoi ? J’avais hâte d’arriver à ma chambre, d’autant plus que les bagages commençaient  à peser lourd au bout de nos bras. Je voulus faire une pause, mais je me trouvai nez à nez avec un nouveau panneau qui disait : il est interdit de poser les valises, sous peine de désintégration immédiate. Je repris ma valise en tirant Juliette par le bras qui ne voulait plus avancer.

Enfin, nous étions arrivés devant la porte : Epoux Galopin et Juliette, poussez fort  et refermez bien la porte. Je m’écroulai sur le lit, heureuse d’avoir enfin atteint mon but. Juliette se jeta sur le sien et Jacques se mit à défaire les valises. Quelle heure était-il donc,  22 heures, ou plus ? Les appliques de chaque côté du lit ne semblaient pas fonctionner, seule la lampe de secours, placée au-dessus de la porte nous éclairait faiblement. Je déshabillai Juliette qui s ‘endormit instantanément. Nous en fîmes de même et nous enfilâmes dans des draps immaculés mais d’une blancheur glacée, un frisson où se mêlait peur et fatigue m’envahit. Jacques me prit dans ses bras pour me réchauffer et esquissait l’amorce d’un tendre baiser sur mes lèvres quand la chambre s’éclaira brutalement d’une enseigne lumineuse qui disait : il est interdit de se faire des calins en présence d’un enfant ! C’était bien notre veine, nous qui voulions profiter de ces vacances pour nous retrouver un peu, et nous redonner ce temps d’échange et de tendresse qui nous faisait si cruellement défaut tout au long de l’année. Nous nous endormîmes donc sagement, contraints et forcés,  jusqu’au lendemain matin.

A 7 heures, nous fûmes réveillés par un grand bruit, celui de chariots qui roulent sur les pavés humides des galeries et des couloirs de l’hôtel, un vrai capharnaüm. Des pas lourds et métalliques se rapprochant de notre porte nous glacèrent d’effroi. Heureusement, Juliette dormait d’un sommeil réparateur, c’était déjà ça. Les pas s’arrêtèrent devant notre porte, j’en profitai pour me cacher sous les draps. Jacques n’était pas plus rassuré, mais comme il s’était déjà fait traiter de dégonflé la veille, il voulait tenir bon ou au moins en donner l’impression. Puis la porte s’ouvrit lentement, avec force grincements et résistance et devant nos yeux ébahis, Jacques  vit s ’avancer non pas un Homme ou un employé de l’hôtel, mais… un robot  gigantesque, avec des yeux ronds lumineux , qui clignotaient sans cesse et semblaient nous fusiller de leur regard de mitraillette. je n’avais pas émergé de dessous mes draps et tremblais de tous mes membres aux bruits divers qui remplissaient la chambre. Le robot, de ses grands doigts de métal articulé, posa délicatement le plateau sur la table, ce qui surprit énormément  Jacques, qui s’attendait à une catastrophe, puis s’en fut de son pas saccadé et robotisé, en omettant en revanche de fermer la porte derrière lui. Jacques attendit qu’il soit au fond du couloir pour se lever et la refermer. J’avais enfin repoussé les draps et contemplais le plateau d’un air ébahi où la pancarte suivante était posé entre les trois bols d’un breuvage improbable aux couleurs un peu douteuses : Jacques, pour une fois, sers-toi le dernier, les vacances, c’est fait pour rompre les mauvaise habitudes.

Jacques et moi nous regardâmes en éclatant de rire. Décidément, ces vacances n’allaient pas ressembler aux autres, nous n’étions pas au bout de nos surprises, bonnes ou mauvaises, cela allait nous changer de notre quotidien fade et banal. Nos rires sonores finirent par réveiller Juliette qui vint s’installer dans le lit entre nous deux. Notre bonheur à tous les trois était tellement grand que nous ne prîmes même pas le temps de lire la nouvelle pancarte surgie au-dessus de nos têtes qui disait :

Juliette, tu n’as plus l’âge de te glisser dans le lit de tes parents, ne t’avise pas de recommencer, sinon gare à toi…

 

 

2

 

 

Une fois la surprise et les moments d’euphorie passés (l’euphorie est parfois le seul moyen de défense devant une situation aussi singulière et effrayante que la nôtre), nous redescendîmes progressivement sur terre, ou plutôt sous terre, puisque telle était notre localisation actuelle. Juliette regardait tristement son bol en se demandant où était son chocolat et pourquoi elle n’avait pas droit aux deux petits pains habituels et aux céréales si nécessaires à sa croissance. Jacques dit qu’il allait téléphoner à l’accueil pour se plaindre, mais nous ne trouvâmes pas le moindre poste téléphonique. Le portable évidemment ne passait pas dans ces bas-fonds, loin de toute civilisation  humaine. Nous avalâmes d’un trait l’immonde breuvage en nous interdisant d’en sentir la moindre saveur. Juliette refusa de boire et alla jeter le contenu de son bol dans le lavabo, puis elle expédia  sa toilette en quelques minutes. Elle allait quitter la salle de bains quand une voix d’outre-tombe se fit entendre aux quatre coins de la chambre : mademoiselle, quand on veut être jolie, on se lave les dents ! Juliette rougit légèrement, tout en se tournant pour tenter d’apercevoir quel corps visible pouvait appartenir à cette voix. Las, elle ne vit rien d’autre que nous deux qui sourions dans notre barbe en nous demandant si elle allait obtempérer ou faire semblant comme elle le faisait souvent à la maison. De l’autre côté de la porte, on n’entendait que le bruit de l’eau qui coulait  quand la voix, qui semblait courroucée se fit à nouveau entendre : j’ai dit : on frotte, on ne fait pas semblant !  Au bout de quelques minutes, Juliette réapparut en nouveau gratifiant d’un souriant étincelant, décidément, un étranger avait plus de pouvoir sur elle en quelques minutes que nous n’en avions eu à deux sur son éducation en 9 ans d’existence commune !

Je proposai de quitter la chambre pour regagner l’accueil et retrouver enfin la lumière du jour  et  l’air pur nécessaires à notre bon équilibre. Mais comment s’orienter en ces lieux obscurs et si mal fléchés ? Jacques suggéra de prendre à notre droite, étant  persuadé que nous étions arrivés par-là, c’est pourquoi je me dirigeai résolument à gauche, sans l’ombre d’une hésitation.  Au bout de cinq minutes, nous n’avions pas progressé d’un iota, chacun donnant son avis et reconnaissant impérativement les lieux que nous avions traversés la veille. Après de longs instants d’errance, nous nous trouvâmes devant un panneau fléché où nous pouvions lire ceci :  Bains romains à 300 mètres. Nous décidâmes de nous y diriger, n’ayant guère d’autre choix et nous disant qu’après tout, cela nous ferait un but de distraction en ce début  de vacances déjà si perturbé. L’air devenait de plus en plus humide et de grosses gouttes suintaient le long des parois de la grotte, qui à présent s’élargissait en une espèce de vaste cirque où d’étranges rochers donnaient l’impression de personnages statufiés, grimaçants et horribles. Juliette se cacha de peur dans un coin de mon châle et je dus la guider pour faire les derniers mètres. Arrivés à la hauteur des fameux bains, nous ne vîmes qu’une flaque d’eau boueuse où surnageaient quelques débris de pierres et de lichens arrachés à la voûte. Nous étions bien déçus et décidâmes de poursuivre notre route. Tout à coup, une grenouille, ou plutôt un crapaud, surgi de nulle part, s’interposa entre moi et Jacques et s’écria, en s’égosillant d’une voix rauque et éraillée : coa coa coa, encore des touristes paumés, c’est déjà les quatrièmes de la journée, mais vous ne savez donc pas lire les pancartes, nom d’un chien !! Quo vadis ? Vous êtes ici au royaume des grenouilles et tout être humain est formellement banni. Faites demi-tour et fissa, sinon je vous transforme, Monsieur,  en bufo calamita, vous Madame en rana esculenta et vous, Mademoiselle en …hyla arborea, allez, ite missa est, noli me tangere, alea jacta est, stricto sensu, sine qua non, motus vivendi, in vino veritas…

César, sois donc un peu plus aimable ave ces messieurs-dames, dit madame Grenouille qui se cachait derrière son gros amphibien de mari et qui, elle, avait plutôt la voix de Rina Ketty dans J’attendrai…Excusez mon mari,  messieurs-dames, mais vous l’avez arraché à sa page wikipedia favorite sur les locutions latines, il veut faire son savant, mais en vérité ce n’est qu’un gros naze. Pardon,  vous cherchez quelque chose ? Eh oui, répondis-je, nous aimerions bien trouver la sortie, voilà plusieurs heures que nous tournons dans ce labyrinthe sans en trouver l’issue. Evidemment, vous êtes à l’opposé, rebroussez votre chemin et à la prochaine pancarte, suivez les flèches vertes, vous ne pouvez pas vous tromper. Merci madame la grenouille, dit Juliette, qui avait recouvré ses esprits et était ravie de pouvoir converser avec une grenouille. Y a pas d’coi, répondit dame grenouille, tout le plaisir est pour moi, répondit en écho monsieur le Crapaud  et gonflant son cou au maximum pour se mettre en valeur. Ave atque vale !

Nous retournâmes donc sur nos pas en marchant en silence, j’avais mal aux pieds, ayant enfilé mes petites sandales d’été comme il se doit dans ces contrées ordinairement baignées de soleil. Mais le soleil, je me demandais  si on allait enfin le retrouver un jour. Nous avions perdu notre bel enthousiasme de la veille et nos yeux, bien qu’ils se soient faits à l’obscurité, commençaient à fatiguer, Jacques ruminait entre ses dents et me reprochait d’avoir choisi cet hôtel soit disant original et unique en son genre. Juliette, encore sur le coup de sa rencontre avec les grenouilles chantonnait à voix basse tout en sautillant d’une manière joyeuse. Et moi, je scrutais l’horizon pour percevoir le moindre petit panneau indicateur.

Tout à coup une voix  tonitruante nous stoppa  dans nos élans. Encore ces péquenots de touristes, quand on n’a pas le sens de l’orientation, on prend un GPS !  Allez, passez votre chemin, et que je ne vous y reprenne plus, sinon…Ne nous engueulez pas, madame la VOIX, dîtes nous plutôt si c’est à droite ou à gauche… Tu ne vois donc pas que c’est tout droit, nigaude… Mais, rétorquai-je, vexée… Il n’y a pas de mais, ici, on n’est pas à la télé, on n’accepte que les gens intelligents…Mais nous sommes intelligents, se risqua Jacques … Ah bon, alors vous cachez bien votre jeu ! Et vous la sortie, répondis-je vexée… Les vacances, ça se mérite, dit la voix, et sans jeu de mots, je vois que vous n’êtes pas vraiment à la hauteur… vous me décevez considérablement.

Je vous promets qu’on va s’en sortir, ajoutai-je de la voix la plus persuasive qui soit. J’espère bien, répondit la voix, sinon…

 

 

3

 

 

Sinon ? Se risqua Juliette qui commençait à s’habituer et à avoir moins peur de ces voix diaboliques et de ces pancartes loufoques. Sinon je vous pétrifie comme les touristes de la semaine dernière, vous n’avez pas vu, dans la grande salle des bains romains, ces rochers en forme d’êtres humains ? Si, dit Juliette, mais j’ai eu tellement les jetons que je me suis cachée dans le châle de ma mère.  Eh bien, ce sont des touristes hollandais qui se sont perdus comme vous jeudi dernier et qui ont refusé d’obtempérer et de rebrousser chemin, ainsi que je leur en avais donné l’ordre. Mince alors, dit Juliette, vous voulez nous transformer en vulgaires cailloux, c’est vraiment pas gentil de votre part ! C’est tout de même pas de ma faute si j’ai des parents incapables de s’orienter ! Dans ce cas, il ne fallait pas venir ici, personne ne vous y a obligés, ce me semble ! Allez, soyez sympa, négocia Juliette, donnez-nous un indice, qu’on se sorte de ce labyrinthe ! Et que me donneras-tu en échange ? J’ai trois carambars dans mon sac et un kinder-surprise, ça vous va ? Bon, ça passe pour cette fois, mais mets-toi bien dans la tête que ce n’est pas ça qui va satisfaire mon ÉNORME appétit. Tu prends à gauche, puis à droite et après, tu verras bien.

Jacques et moi nous étions assis sur une grosse pierre pour nous reposer un peu et en profiter pour boire quelques gorgées de l’eau que nous avions emportée pour la plage. Le sac commençait à peser lourd avec les serviettes, les crèmes solaires et surtout le siège pliant et le parasol. Nous étions ébahis de constater combien notre fillette prenait d’assurance et osait se confronter à ce monstre invisible certes, mais bien présent par la voix et les menaces qu’il proférait à notre encontre. Je n’en voulais nullement à Juliette de nous accuser et de mettre sur notre dos la responsabilité de nos erreurs de parcours, et je l’admirais d’avoir accepté de sacrifier pour nous ces friandises qu’elle aimait tant. Nous nous remîmes en route en suivant Juliette qui prenait son rôle de guide à cœur et repartit d’un cœur léger et plein d’entrain.

Le chemin devenait étroit, nous arrivâmes ensuite à un petit pont qui enjambait une rivière souterraine, où coulait un mince filet d’eau. Nous aperçûmes tout au fond quelques petits poissons très fins et sans couleur, qui paraissaient également privés d’yeux. Jacques, qui avait beaucoup voyagé dans sa jeunesse, se souvint d’avoir vu les mêmes dans une grotte mexicaine en 1984. Ces poissons cavernicoles sont aveugles, nous dit-il, et la perte de leur pigmentation est due en partie à l’obscurité, mais aussi  à une dérive génétique que les scientifiques ont très bien mise en évidence. Jacques aime faire son savant, il croit m’impressionner avec ses connaissances,  mais ça ne me fait ni chaud ni froid, je fais juste semblant de l’admirer.

Au bout du pont, un chemin partait à droite, et l’autre à gauche. Juliette prit celui de droite sans hésiter, suivant ainsi les consignes que lui avait indiqué la VOIX. Jacques et moi la suivîmes sans nous faire prier.  Le plafond paraissait à présent moins bas, nous avions atteint une salle spacieuse à la voûte haute et large, la roche avait changé d’aspect, la pierre avait pris un aspect plus clair et paraissait briller de mille petites paillettes d’argent. On dirait du mica, dit Jacques. De ce fait, on aurait presque pu imaginer être à l’air libre ou croire voir s’infiltrer quelques rais de lumière au travers d’imperceptibles interstices de rocher. Nous nous sentîmes plus à l’aise, moins prisonniers de nos instincts claustrophobes qui rendaient cet épisode souterrain si difficile à vivre.  Le chemin serpentait entre les roches, il nous fallut descendre quelques escaliers usés et mal ajustés, puis remonter une pente plus raide en enjambant quelques gros blocs éboulés du plafond, nous semblait-il. Nous décidâmes de faire une nouvelle pause, avant de reprendre notre route.

C’est alors que des cris stridents se firent entendre au-dessus de nos têtes, c’était comme des sortes de pépiements aigus mêlés à des bruits d’ailes incessants, elles évoluaient là-haut, par dizaines, tout au-dessus de nos têtes, s’accrochant aux galeries des rochers, la tête en bas, et paraissant nous épier de leurs petits yeux malins. Juliette se précipita sur moi en hurlant. Elle n’avait jamais vu ce genre de bête moitié oiseau et moitié rat, avec ces ailes de monstres comme on en voyait parfois dans les films d’horreur…Ce sont des chauves-souris, dit Jacques pour la rassurer. Elles ne sont pas méchantes, elles viennent là pour dormir et pour hiberner. N’aie pas peur, elles ne te feront aucun mal… Les chauves-souris se nourrissent d’insectes, et pas de petites filles comme toi. Je pris bien garde de ne pas ajouter que parfois les chauves-souris  volent tellement bas qu’elles se prennent dans les cheveux des filles, surtout lorsqu’elles ont une chevelure aussi longue et fournie que celle de Juliette.

Bon, à présent, dit Juliette je n’ai plus d’autres indications que celles de la VOIX. A droite, à gauche ? Qu’en pensez-vous ? On n’en pensait rien du tout, et encore moins Jacques qui s ‘en remettait entièrement à moi et à Juliette. Il y a trois routes possibles, dit Juliette, celle qui est devant nous, celle qui tourne un peu plus loin à droite et encore celle à gauche qui a l’air de redescendre légèrement.  Que fait-t-on ? demanda Jacques, inquiet. Vous fermez les yeux, je tourne sur moi-même quelques instants, et au bout d’un moment, vous criez stop, d’accord ? Au point où on en était, cette proposition ne me parut pas plus stupide qu’une autre, nous obéîmes donc, sans se faire prier, à ses ordres.

-          Alors, jeune fille, on se croit dans le ballet des petits rats ?

-       Rat toi-même répondit Juliette, qui, la première peur passée, puisa en elle assez de self-control pour ne pas perdre tous ses moyens devant une chauve-souris énorme qui lui parlait, la tête en bas, ses gros pieds griffus agrippés à la rambarde et  qui était de surplus dotée d’une voix semblable à celle de  n’importe quel humain, mais en plus aigu. 

-          Je ne rencontre pas assez de demoiselles dans votre genre, fillette, comment vous appelez-vous ?

-          Juliette, et toi ?

-          Pipistrelle, mais on me surnomme  Pipis, merci de prononcer le S…

-          Ah Ah, quel drôle de nom pour une chauve-souris !

-          Que faites-vous ici ?

-          -On recherche la sortie, toi qui viens du dehors, pourrais-tu me l’indiquer ?

-          Oh ! Tu sais, je n’y prends pas garde, pour moi c’est instinctif, je dirais même que je viens ici les yeux fermés…

-          Eh bien, essaie de te rappeler, c’était à droite, à gauche, tout droit ?

-          Aucune idée, d’autant plus que vu ma position actuelle,  hi hi, je vois le monde  à l’envers, et pour distinguer ma gauche de ma droite, ben, il me faut tout inverser, ce n’est pas simple…En ce qui te concerne, par exemple, je vois d’abord tes pieds, puis tes jambes, puis ton corps et enfin ta tête !

-          Stupide animal, et mal élevé de surcroît, sais-tu qu’on doit s’adresser aux jeunes filles dans le bon sens et non la tête en bas ? Bien, je vois que je ne tirerai rien de bon de toi ? Et si je te faisais un cadeau ?

-           Un cadeau ?

-          J’ai deux BN et un choco-pocket dans mon sac, est-ce que ça te va ?

-          Tu es sotte ou quoi, tu ne sais pas que je me nourris exclusivement d’insectes ?

-          Tu ne veux pas goûter ? Juste une fois, tu verras, c’est bon, c’est même DÉLICIEUX !

-          Bon, puisque tu le dis, donne, pour voir !....Mais c’est dégoûtant ! Comment peut-on aimer de telles horreurs sucrées !

 

Juliette savait qu’on ne pourrait rien tirer de cet animal, elle prit donc congé de lui sans ménagements et se remit à tournoyer jusqu’à ce que Jacques ou moi  lui disions stop ! On irait à gauche, le sort en avait décidé ainsi, en espérant qu’il ne se trompe pas une fois encore.

 

 

4

 

 

 

Jacques et moi étions dans le plus grand découragement, nos jambes commençaient à fatiguer, je m’étais même tordu la cheville droite (déjà fragilisée par une opération récente) en descendant un chemin abrupt aux pierres inégales ; Jacques  soufflait de plus en plus fort, étant légèrement asthmatique, seule Juliette affichait une forme olympique et gambadait en sautant sur les pierres et en enjambant allégrement les obstacles. Sa dernière rencontre avec la pipistrelle l’avait subjuguée, elle était à la fois effrayée et émerveillée d’avoir observé de si près ces animaux fantastiques qui, habituellement, vivent dans l’ombre et se retranchent dans de sombres cavernes. Quand on rentrera chez nous, dit Juliette, j’adopterai une chauve-souris, ou plutôt deux : on les mettra au grenier, il y a assez de place pour elles ! Elles feront des petits ensemble et ainsi on aura une grande famille pour nous tenir compagnie. Il faudrait déjà qu’on trouve la sortie, dit Jacques, ce qui me paraît bien compromis pour l’instant.  Je suivais en portant le sac qui devenait de plus en plus lourd au fil des heures. C’est à ce moment qu’une voix  forte se fit entendre, on aurait dit qu’elle avait lu dans mes pensées : Jacques, ça ne te dérange pas de voir ta femme porter le sac ? Jacques se retourna et m’arracha le sac avec vigueur, contrarié qu’un étranger lui donne de tels ordres.  J’étais enfin soulagée et ma marche se fit alors plus sûre et plus rapide. Juliette poursuivait sa route à 15 mètres de nous, guidée par son seul instinct et nous, machinalement et sans aucun état d’âme la suivions sans broncher. Nous étions devenus des robots sans pensée et sans état d’âme et accomplissions notre marche en avant, comme si nous allions à notre dernier supplice. Tout à coup, deux grands yeux jaunes fluo surgirent de l’ombre engendrée par une grosse roche recouverte de mousse et d’une sorte de lierre verdâtre.

-          Tu m’as fait peur, gros nigaud, dit Juliette en éclatant de rire

-          Y a pas d’quoi, ai-je une tête à faire peur ?

-          Ma foi non, tu es simplement un peu plus gros et plus gras que ceux de mon cousin à Toulouse

-          Que faites-vous ici ?

-          Eh bien, nous cherchons la sortie, peux-tu nous aider… euh, comment t’appelles-tu, déjà ?

-          Arthur, mais tout le monde m’appelle Calamity,  c’est moi le chef ici.

-          Où sont les autres ?

-          Ils font la sieste dans la grotte, là-bas ils sont au frais et personne ne les dérange

-          Puis-je toucher ta fourrure ?

-          Bien sûr, je ne mords pas les petites filles, mais attention, j’ai une sainte horreur des adultes, et surtout des Messieurs qui portent des sacs de plage à rayures bleues et blanches !

-          Mais c’est mon père ! Tu ne vas pas manger mon père, tout de même !

-          Quand j’ai bien faim, je peux, oh, pas tout entier, juste un petit morceau, seulement pour goûter. Mes morceaux préférés sont le mollet et la cuisse…

-          Sale bête, disparais de ma vue, ou je…

-          Ou quoi ? tu n’as aucun moyen de défense, mon petit chou, et je ne peux faire de toi qu’une bouchée…

-          Pardon, Monsieur Calamity, je ne vous offenserai plus à l’avenir, oh, que votre pelage est doux et  que vos gros yeux jaunes sont ronds, brillants  et merveilleux…

-          Bon, ça va, n’en jette pas trop non plus, vous voulez aller où ?

-          Je t’ai dit : on veut sortir d’ici, et en vitesse, on a faim, on a soif, on est fatigués, et je voudrais aller piquer une tête dans l’eau, et le plus vite possible !

-          Bon, il y a un moyen, mais il va falloir être malin, je vais te poser une énigme et si vous répondez bien, je vous indiquerai la sortie.

-          Maman, papa, j’ai besoin de votre aide !

 

On s’assit tous en rond au pied de la caverne et Calamity nous posa cette énigme :

 

On me tourne pour avancer.

Mais quand on l’est,

Cela signifie que l'on est branché

 

Qui suis-je ?

 

Il se fit un grand silence dans le souterrain, on n’entendait que quelques gouttes qui suintaient de la voûte et participaient lentement à l’élaboration d’une stalagmite en pleine formation.

-          Je ne vois pas, dit Jacques

-          Je ne vois pas non plus, répétai-je en écho

-          Je réfléchis, dit Juliette

Dire combien de temps nous restâmes sur place serait difficile à évaluer. Nous n’avions plus aucune espèce d’idée du temps. Nos montres étaient restées bloquée à 10 heures ce matin. Etions –nous seulement le même jour, ou l’horloge avait-elle déjà fait un tour complet ?  Aucune idée. Ce que nous savions, c’est que la faim nous tenaillait, nous avions épuisé toutes les friandises et tous les petits gâteaux tirés de nos sacs et destinés à nous « caler » avant le déjeuner. Il nous restait juste un fond de bouteille que nous économisions le plus possible pour ne pas en être privés trop tôt.

-          Alors, vous avez trouvé ? Demanda Calamity

-          Je cherche, laisse-moi me concentrer !

Jacques et moi nous étions écroulés piteusement en laissant Juliette seule à chercher. Je fus réveillée par un grand coup de coude. Alors, vous dormez ? Merci tout de même de m’avoir aidée ! C’est sympa de votre part ! Le gros chat avait disparu. Nous pensâmes que notre calvaire allait recommencer et que par notre faute et notre manque de perspicacité, Juliette, Jacques et moi allions mourir bientôt dans cet affreux trou noir.

-          Alors Juliette, cette énigme ?

Mais Juliette se refusa à toute réponse. Elle réajusta son sac derrière son dos et se remit en marche sans plus nous adresser la moindre parole.  Quand nous arrivâmes au niveau du repaire de Calamity, un rire énorme et bestial ébranla la voûte,  Juliette esquissa un sourire qui ressemblait plus à une grimace et haussa doucement les épaules. Quant à nous,   faisant profil bas, nous la suivîmes sans broncher et  lui emboitâmes le pas avec résignation et docilité.

 

 

 

5

 

 

 

Nous devions avoir parcouru au moins 500 mètres sans que Juliette ne nous ait adressé le moindre mot ni ne nous ait jeté le moindre regard.  Elle caracolait  bien en avant  de nous sans se soucier de notre présence et de l’épuisement dont nous souffrions Jacques et moi et qui s’accentuait à chacun de nos pas. Au bout d’un moment, n’en pouvant plus, nous nous écroulâmes sur une grosse pierre plate et Jacques s’étendit de tout son long en fermant les yeux. J’en fis de même tout en prenant la précaution d’enlever mes chaussures pour détendre mes pieds gonflés par cette marche prolongée. Puis j’entrepris de les masser avec la crème après-bronzage retrouvée au fond du sac de plage,  cela pourrait toujours me soulager un peu. Jacques, de son côté, absent des autres et de lui-même,  ronflait à qui mieux mieux et ses ronflements  surmultipliés à cause de l’écho envahissaient tout l’espace et devenaient quasiment insupportables. II faut parfois aimer très fort son conjoint pour endurer ce genre de désagréments, ceci dit en passant ! Je tentai de couvrir sa voix et criai du plus fort que je pus : Juliette, Juliette ! J’étais aux cent coups, c’était déjà difficile de chercher son chemin à 3, mais si en plus, il fallait rechercher Juliette, ç’en était bien fini de nous. Malheureusement, la fatigue ayant repris le dessus, je me rendormis pratiquement instantanément, sans en avoir pris vraiment conscience.

Combien de temps restâmes-nous affalés sur ce rocher, quand je me réveillai pour la s econde fois, le silence régnait à nouveau dans la salle, et pourtant Jacques dormait toujours à poings fermés. Je le secouai violemment, ce qui le fit se redresser d’un bond en hurlant : attention, derrière toi !  Quoi, derrière moi ? Le crocodile, là, sur le rocher ! Je me retournai d’un bond. Pas le moindre crocodile. Jacques prolongeait sans doute son rêve ou était-il victime d’hallucinations dues à une trop grande fatigue. Allez, debout, intimai-je avec autorité, il faut retrouver Juliette.  Jacques se remit sur ses pieds avec un peu de mal, mais sa sieste lui avait été bénéfique, il repartit avec plus d’entrain que tout à l’heure et n’oublia pas d’emporter le sac posé à ses côtés.

Juliette, Juliette ! Ma voix restait sans réponses, il fallait pourtant poursuivre sa route, si nous voulions nous en sortir. Je décidai de continuer, sur notre gauche, là où le chemin paraissait mieux tracé. A un endroit, le sol était devenu sablonneux et je crus reconnaître l’empreinte du petit pied de Juliette. Jacques l’examina attentivement  et me confirma ce que je croyais, il s’agissait bien du pied de Juliette. L’espoir se mit à renaître en nous et nous pressâmes le pas du mieux que notre état nous l’autorisait. Au bout d’une demi-heure, le chemin s’élargit pour laisser place à une sorte de plage au sable quasiment rouge, qui aboutissait à un petit lac aux eaux d’un bleu azur merveilleux d’où affleuraient ici et là quelques rochers blancs immaculés du plus bel effet. Je fus surprise par la poésie de l’endroit, je n’avais jamais rien vu d’aussi beau de ma vie. Finalement, je commençais à me dire que cette aventure n’avait pas que du négatif et que nous aurions vécu des choses exceptionnelles que personne d’autre que nous ne connaîtrait jamais. Nous nous rapprochions  insensiblement de la rive pour contempler le lac, quand une voix me fit sursauter :

-          Ah vous voilà enfin, César m’avait prévenu de votre visite, je vois que vous n’avez guère le sens de l’orientation !

-          César ?

-          Oui, mon cousin le crapaud des bains romains, il m’a envoyé un SMS tantôt pour me dire que j’allais avoir la visite d’une famille de provinciaux paumés, je ne suis pas déçu, tantôt, mais je ne vois pas la petite, tontôt, est-ce normal ?

-          Vous ne l’auriez pas aperçue, par hasard, questionnai-je

-          Elle est peut-être passée tantôt, mais comme je dormais…Attendez, je demande tantôt à Verdurette

-          Verdurette ?

-          C’est mon épouse, c’est une pipelette de premier ordre, ça m’étonnerait qu’elle n’ait rien remarqué tantôt, Verdurette !

-          Coa encore Verdurin, tu vois bien que je souffle un peu !

-          Aurais-tu vu passer tantôt une fillette de… quel âge déjà ?

-          9 ans

-          9 ans, habillée de ?

-          Un bermuda blanc, un tee-shirt Hello  Kitty rose, des ballerines roses et un serre-tête rose dans les cheveux, précisai-je

-          -Et un slip rose, sans doute, ajouta Verdurette en se moquant

-          Quel bon goût, ce n’est plus une tenue, ça, c’est un déguisement, ironisa Verdurin

-          C’est la tenue de toutes les fillettes de son âge, chaque âge a ses propres codes, répondis-je, vexée, il faut passer par la case rose avant d’entamer l’incontournable case blue-jean et enfin la case noire universelle…

-          L’ennui naquit un jour de l’uniformité, cita de mémoire Verdurin, qui avait une culture plus moderne que son cousin César

-          - N’empêche que nous, une feuille de nénuphar nous suffit, dit Verdurette

-           C’est notre feuille de vigne à nous, plaisanta Verdurin, qui n’était pas dépourvu d’humour

-          -Vous êtes de grands savants, vous et votre cousin, dis-je pour le flatter

-          Moi peut-être, mais cet abruti de César croit me bluffer parce qu’il débite bêtement tous les poncifs latins qu’il trouve sur le net. Moi, mes connaissances sont réelles et appropriées, je sais placer les mots au moment opportun, tandis que lui les énumère mécaniquement sans en connaître le sens !

-          Chacun son style, répondis-je, c’est déjà un bel effort que d’apprendre tous ces mots latins !

-          A quoi voulez-vous que cela serve, sinon à vouloir épater des pékins de votre acabit ?

-          Vous voyez bien que cela aura moins servi à quelque chose, répondis-je en ironisant quelque peu.

Verdurin, vexé qu’une femme lui tienne tête, nous  tourna le dos brutalement et s’en fut ruminer  ses rancoeurs sur sa feuille de nénuphar habituelle. Verdurette nous fit un signe amical de sa petite main palmée et nous nous séparâmes  à regret.

 

Nous étions tellement impatients de retrouver notre fille pour laquelle Jacques et moi, nourrissions la plus grande inquiétude. C’est alors qu’un spectacle incroyable s’offrit à notre vue…

 

 

 

6

 

 

 

A ce moment précis du récit, il est bon de faire un petit retour en arrière et d’expliquer à nos pauvres lecteurs  épouvantés  et curieux comment le hasard nous fit  atterrir dans cet endroit insolite et  hostile, alors que nous nous apprêtions à passer des vacances sans histoire en bordure de mer, dans le Sud de la France, du 2 au 17 août, comme tout le monde. Nous aurions voulu nous inscrire comme les autres années au club des flots bleus à St-Hilaire, mais nous y étant pris trop tard, nous fûmes contraints de renoncer à notre projet et de nous rabattre sur un autre style de vacances, à savoir ce petit hôtel a priori accueillant et sympathique, situé en bordure des grottes de Ploumeysac, en Dordogne, non loin d’un lac où nous pourrions nous baigner tous les jours.  Juliette fit grise mine à cette annonce, car elle se réjouissait de retrouver ses amies  de l’année passée, celles de la case Crabe en particulier, et aussi la Méduse, le Cachalot et le Mulet. Jacques pour sa part  pouvait s’exercer à sa passion favorite, la pétanque, avec le Bernard-l’hermite,  la Sardine et le Homard. Quant à moi, ma préférence allait à l’aquagym que je pratiquais tous les matins en compagnie de la femme du Turbot, de l’Hippocampe et du Bigorneau. Le soir, il y avait soit karaoké, soit soirée à thème, dont raffolaient Jacques et Justine, moi, je n’aimais guère ce genre de mascarade que je trouvais stupide. La soirée Chantal Goya fut la plus ridicule de toutes,  on n’avait pas trouvé de costume de lapin assez large pour Jacques et il  péta toutes ses coutures sur la scène, pour le plus grand bonheur des vacanciers qui n’attendaient que ça. Juliette se tordait de rire sur son siège, et moi, je me cachais derrière mon éventail, morte non pas de rire mais de honte. Enfin, c’était quand même de bonnes vacances, on prenait l’apéro deux fois par jour, tout le monde se connaissait et les enfants pouvaient jouer sans danger en dehors du regard et de la surveillance des parents.

Un jour, j’eus l’idée d‘aller sur un des nombreux sites de vacances sur Internet et ce petit hôtel, avenant et confortable, me parut convenir tout à fait à notre attente, les prix étaient modérés, on pouvait choisir la demi-pension, ce qui nous permettrait de prendre nos repas de midi à l’extérieur et aussi de piqueniquer sur la plage au bord du lac. Jacques était hésitant, les visites de grottes ne l’enchantaient guère, étant un peu claustrophobe et pas particulièrement intéressé par la préhistoire. Juliette était déçue de ne pas revoir ses amies, moi seule me réjouissais de connaître enfin autre chose que ces clubs de vacances où l’on se sent enfermés et obligés de suivre le mouvement. Ah, si l’on m’avait dit dans quel pétrin nous allions nous fourrer, j’aurais regardé à deux fois avant de réserver.  Mais le mal était fait. A présent, nous étions embarqués dans cette histoire incroyable, et le seul projet que nous avions dans l’immédiat était de nous sortir de cette galère et de retrouver enfin l’air libre et la lumière.

La lumière !!

La lumière ! S’écria Jacques. C’est ce qui nous surprit le plus en apercevant des lustres accrochés au plafond de la voûte et des appliques sur les murs. Une lumière tellement soudaine qu’elle nous éblouit au point de nous faire refermer les paupières, puis de les rouvrir très doucement, pour ne pas nous brûler les yeux. Ensuite, nous en observâmes progressivement les détails, apercevant à présent un certain nombre de tables dressées pour un repas, ou pour le petit-déjeuner, nous ne savions plus trop l’heure de la journée. Un vieux juke-box jaune et rouge des années 50 (une reproduction, sans doute) passait en boucle une chanson de Nougaro qui disait en gros ceci :

 

Il faut tourner la page

Changer de paysage

Le pied sur une berge

vierge

Il faut tourner la page

Toucher l’autre rivage

Littoral inconnu…

 

 

J’aimais bien cette chanson autrefois, je l’avais à vrai dire un peu oubliée.  Nous voulûmes pénétrer dans la salle, mais une voix tonitruante nous stoppa dans notre élan. LE CODE, SVP ! Quel code, murmurai-je d’une petite voix plaintive et soumise. Le code de l’énigme, celle de tout à l’heure, celle que votre fille a résolue si facilement, décidément, vous n’êtes pas les dignes parents de votre fille, allez, faites travailler un peu votre matière grise !  Jacques, as-tu une idée ? Jacques n’avait aucune idée, il n’était pas bon dans ce genre d’exercices, j’aurais dû m’en douter. Et cette chanson qui revenait sans cesse !

 

Il faut tourner la page

Aborder le rivage

Où rien ne fait semblant

Saluer le mystère

Sourire
Et puis se taire

 

Je saluais le mystère sans pouvoir le résoudre. Il ne fallait surtout pas se taire, si nous voulions progresser dans notre recherche de la sortie. Et Juliette qui n’était pas là pour nous donner la clé de l’énigme. Pas de code, pas de possibilité d’entrer, répétait la voix. Vous êtes cruels, criai-je hors de moi, ça fait deux jours que nous n’avons pas mangé et vous  nous laissez à la porte de ce restaurant, la faim au ventre…Et notre fille, savez-vous au moins où elle est, si elle va bien et si elle est vivante, REPONDEZ, si vous êtes un homme ! Hurlai-je en rassemblant toute mon énergie. Répondez d’abord à l’énigme, après on verra, dit la voix .

 

Je m’assis devant la porte à côté de Jacques qui montrait des signes visibles de découragement, il avait à présent du mal de respirer, sa claustrophobie le reprenait, sans doute, et je craignais qu’il ne fît un malaise dans un futur proche. Pour me désangoisser, je me mis à chantonner la chanson de Nougaro qui tournait toujours sur le vieux juke-box, je revoyais à présent la pochette du disque d’où était extrait ce titre, c’était en 1987, on y voyait des gens courir dans la rue, au pied d’un building jaune je crois où était écrit le mot Nougayork, contraction de Nougaro et de New-York, pas mal trouvé, ma foi : il faut tourner la page, il faut tourner la page …

 

Soudain, je me relevai d’un bond, Jacques sursauta et me demanda quelle mouche m’avait piquée, je criai : je l’ai, je l’ai !!  Mais tu as quoi ? J’ai la clé de l’énigme. Je répétai à voix bien haute : j’ai la clé de l’énigme, laissez-moi entrer !  Prends un petit papier à l’entrée, dit la voix et écris ta solution, si c’est la bonne, la porte s’ouvrira. Je ne me le fis pas répéter deux fois. Je trouvai rapidement le matériel où écrire ma réponse, la pliai en quatre et l’introduisis dans la fente de la boîte disposée à cet effet.  Attendez quelques instants que  je vérifie, redit la voix. Au bout de quelques minutes d’une attente insoutenable, la porte grinça sur ses gonds et les deux battants s’ouvrirent conjointement en nous donnant la possibilité de pénétrer dans les lieux. Jacques et moi tombâmes dans les bras l’un de l’autre, nos larmes coulaient de part et d’autre et je dus sortir mon mouchoir pour nous essuyer respectivement les yeux et nous éclaircir ainsi la vue.

 

Bravo ma chérie, dit mon époux, qui n’avait jamais été aussi fier de moi, à présent, peux-tu me révéler quel était le mot à trouver ? 

 

 

 

7

 

 

Mon pauvre ami, fis-je en soupirant et en levant les yeux au ciel, tu ne seras jamais un aigle, tout juste un aiglon, et encore, un tout petit, le plus faible de la couvée, plutôt un busard ébouriffé et frileux en quête permanente de protection et de tendresse. Ce n’est pas ton mètre quatre-vingt-deux qui y changera grand-chose, les centimètres ne sont -hélas- pas le gage de force mentale ni de perspicacité. Mais je t’aime comme ça, mon chou, on n’y peut rien, c’est la vie… Jacques avait fait la grimace quand qu’il m’avait entendu prononcer le nom de busard, mais son sourire revint quand il comprit que je l’aimais comme il était, avec ses qualités et ses faiblesses. Bon, poursuivais-je, as-tu fait attention aux paroles de Nougaro ? Ben oui, répondit-il. Que disent-elles, en gros ? Elles disent qu’il faut tourner la page ! Eh bien, on y est, souviens toi :

 

On me tourne pour avancer.

Mais quand on l’est,

Cela signifie que l'on est branché

 

LA PAGE ! Bien sûr, hurla Jacques, comme si c’était lui qui venait de découvrir l’énigme. La page, oui, la page, c’était facile au fond. Tourner la page, être à la page…Oui, mais on n’a pas trouvé quand même, constatai-je ! Alors que notre fille, elle, si… dit Jacques…Un rapide éclair  d’orgueil passa à ce moment-là dans ses yeux et je compris à quel point il était fier de sa fille et combien il était urgent que nous la retrouvions…

Entrez donc, fit la voix, devenue aimable et accueillante et prenez une table, vous voyez, il y a le choix. Nous aimerions une place à l’ombre, demanda Jacques du plus sérieusement qu’il le put. J’éclatai de rire et me réjouis de voir mon époux dans d’aussi bonnes dispositions. La voix, quant à elle, comprit sans doute qu’on la charriait, mais poursuivit du même ton froid et monocorde : attendez la venue du serveur, il va s’occuper de vous. On s’assit à une table, la première devant nous, et nous attendîmes, heureux d’avoir trouvé de vrais sièges et impatients de boire et de manger quelque chose.

La musique s’était soudain arrêtée.

Au bout d’un quart d’heure, le robot que je reconnus comme étant celui de notre chambre s’approcha de notre table, de son pas lourd et pesant. Il nous tendit la carte. Nous le remerciâmes poliment, sans trop le dévisager pour ne pas le mettre mal à l’aise. J’eus tout le même le temps d’apercevoir ses grosses paluches qui m’avaient tant impressionnées la première fois à l’hôtel et dont les doigts étaient si bien articulés qu’ils maniaient le menu avec souplesse et dextérité. On fait tout de même de belles choses à présent en matière de robotique, dit Jacques, impressionné. Oui, répondis-je, mais cela va encore augmenter le chômage, rien ne vaut le contact humain, combien de mots crois-tu qu’un robot de cet acabit puisse prononcer, en fait ? Je n’en sais rien, dit Jacques, pour l’instant, nous n’avons pas encore entendu le son de sa voix !  Tout de même, ça ne remplacera jamais un être humain, dis-je. Tu n’en sais rien, Nicole, les robots sont peut-être moins grincheux et lunatiques que certains serveurs, et ils enregistrent peut-être plus facilement  le détail de la commande sans oublier la moitié des choses ? C’est à voir, répondis-je, crois-tu qu’il faille donner un pourboire aux robots ? Quand on leur fabriquera des poches spéciales, peut-être, dit Jacques en riant, mais j’ai bien peur que le métal des pièces n’interfère avec la structure et n’enraye la mécanique ! C’est tout bénéfice pour nous, constatai-je, de toute manière, nous n’avons pas de quoi payer, on demandera à la VOIX de nous inscrire ça sur notre compte.  Puis Jacques me passa la carte. En fait, il n’y avait qu’un seul menu, nous avions juste le choix entre deux plats :

 

MENU DE LA TAVERNE JOYEUSE

 

Entrée : cresson de la grotte sur canapé de vase du lac ou tartine d’œufs de têtards sur  son lit de nénuphars

Viande : cuisses de crapaud façon homme des cavernes ou fricassée de chauves-souris sauce grand-mère

dessert : glace à la mousse d’astyanax mexicanus et sa garniture

Boisson : cervoise des cavernes, brassée ici depuis 140 millions d’années.

Beau programme, fis-je écœurée. Les fleurs, ça se mange, c’est même très à la mode, dit Jacques. Et le crapaud, ça se mange aussi ? Fis-je dégoûtée à l’avance. On mange bien des grenouilles, pourquoi pas des crapauds. Si ça se trouve, ils vont nous servir César ou même Verduron, tu te rends compte, m’indignai-je !  Mais puisqu’on ne le saura pas, on avait bien des lapins chez nous autrefois à la campagne, on les connaissait tous par leur nom, on les nourrissait, on les prenait dans nos bras, et on finissait quand même par les manger ! Assassin, m’écriais-je scandalisée, si j’avais su ça, je ne t’aurais jamais épousé !! Mais un crapaud n’est pas un lapin, c’est comme une grenouille, dit Jacques, sauf qu’il y a plus à manger. Essayons, on verra bien.

Je dus me résigner à ce choix, puisqu’il il était hors de question de manger des chauves-souris et que ma faim était trop grande pour que je puisse m’offrir le luxe de jeûner.

Le robot s’était à nouveau avancé vers nous. Il reprit le menu d’un mouvement saccadé de sa main droite et attendit notre décision sans proférer la moindre parole. Nous commencions  à nous impatienter quand la voix se fit entendre : dites votre choix et le serveur enregistrera. Jacques lui énuméra donc notre choix et à chacune de ses paroles, on entendait des bruits de mécanique, accompagnés de sifflements étranges, comme si des centaines de petits roulements et de circuits électroniques se mettaient en route à l’intérieur de son corps et transmettaient l’information au cerveau du robot qui ne fit pas un geste tant que dura l’opération. Puis, à notre grande surprise,  de son bras droit qu’il déploya soudainement, il s’empara du stylo posé sur  la table et l’accrocha derrière la protubérance qui lui servait d’oreille, d’un mouvement automatique et très sûr… J’étais subjuguée.  Voilà qu’instinctivement, il venait de reproduire un geste rituel et pourtant inutile, puisque sa condition de robot lui épargnait justement ce genre d’action. Je me suis soudain demandé, si, selon une vieille théorie,  c’était la fonction qui créait l’organe ou le contraire et si les robots serveurs étaient susceptibles d’hériter des manies de ses vieux collègues humains.

Quand l’estomac est vide et crie famine, il est difficile de distinguer un son plus faible que lui ! Je remis donc ces belles pensées à plus tard.

En attendant, je tremblais à l’idée de devoir ingérer un tel  festin, l’arrivée de la boisson fit un peu diversion à mon angoisse. Jacques pour sa part avait sorti un roman du sac de plage et en avait commencé la lecture. Pour me changer les idées, je me mis à lire pardessus son épaule : II est seul dans cette forêt. Pas un bruit, seul. Il est si apeuré qu’il peut entendre son cœur battre. Soudain, un cri. Mais d’où vient-il et qui l’a poussé ? Un cri de terreur, un cri qui vous glace le sang. Il est de plus en plus effrayé et se met à courir. Il prend ses jambes à son cou, mais dans ce noir d’ébène il ne sait pas où il va.

 

-          Bon choix de lecture, bravo, dis-je, voilà de quoi nous rassurer

-          Vaincre le mal par le mal, il n’y a rien de tel, dit Jacques

-          Je vois que Monsieur a bon moral, ça fait plaisir à entendre !

-          Les épreuves vous forgent le caractère, j’aime avoir peur, affirma Jacques

-          Ah, bon, première nouvelle, mon mari serait-il devenu courageux, tout à coup ?

-          Tout peut arriver, en ce bas monde,  ajouta Jacques

-          Oui, même cet affreux plat qu’on nous apporte, regarde !

-          Bon appétit, ma chérie, dit Jacques en refermant son livre  et en me décochant son plus beau sourire

 

 

 

8

 

 

 

-          Juliette, ma chérie, mais où étais-tu ? Nous t’avons cherchée partout, nous étions tellement inquiets ton père et moi

-          J’étais juste un peu plus en avant, maman, je n’y peux rien si vous êtes vieux et fatigués et que vous traînez au lieu d’avancer normalement

-          Vieux et fatigués, il faut être arrivés ici pour entendre des choses pareilles, mais je rêve !

-          Non, tu ne rêves pas,  c’est juste la vérité, dit Juliette

-          Et impertinente, avec ça ! Jacques, tu entends ça, notre fille nous traite de croulants

-          Elle n’a pas tout à fait tort, chérie, j’avoue avoir un peu lambiné sur la fin

-          Lambiné ? Tu veux dire dormi, ronflé, pioncé, roupillé, dit Juliette en s’asseyant à notre table. Mais qu’est-ce qu’on vous a servi, ça a l’air dégoûtant, vos trucs !

-          Du cresson à la vase et des cuisses de crapaud, répondit Jacques

-          Mais toi, Juliette, tu n’as rien mangé, tu dois être affamée, questionnais-je

-          T’en fais pas maman, j’ai très bien mangé, merci

-          Tu as déjeuné ?

-          - Bien sûr !

-          Et tu as pu avaler ces immondices, je ne te reconnais plus, ma fifille, si difficile, si pointilleuse d’ordinaire sur la nourriture…

-          T’en fais pas, j’ai pris le menu enfant, c’était parfait

-          Peux-t-on savoir ce qu’ils t’ont servi ?

-          Une quiche au fromage, un steak haché, un méga cornet de frites, une glace deux boules à la fraise et un chou à la crème…Ah, j’oubliais, un maxi coca.

-          C’est pas possible, Jacques, tu entends ça ? Mais tu n’as pas déjeuné à la Taverne Joyeuse ?

-          Mais si, j’ai donné le code secret, et je suis rentrée, au fait, je suppose que vous l’avez deviné enfin, puisque vous êtes ici ?

-          C’est ta mère qui l’a trouvé, dit Jacques, ta mère est incollable sur les énigmes

-          Incollable peut-être, mais pas super super rapide, ricana Juliette

-          Juliette, un peu de respect, s’il te plaît, je trouve que tu as pris beaucoup d’assurance depuis que nous t’avons perdue

-          Ben, il fallait bien, si j’avais dû compter sur vous pour me guider, on serait encore en train de chercher notre route

-          C’est bien vrai, ça, dit Jacques, MA fille est épatante

-          TA fille, qui est aussi MA fille devrait mesurer ses propos et nous parler sur un autre ton…

-          Le principal, c’est qu’on l’ait retrouvée, n’est-ce pas Juliette ? Viens, ma fifille, viens sur les genoux de ton vieux père…

-          Mais c’est qu’il en rajoute une couche, l’animal, on est vieux à 42 ans, maintenant, ça, c’est un comble !

 

Juliette, trop contente du soutien de son père et ravie de faire tourner la situation à  son avantage se précipita sur les genoux de son père, qui n’attendait que ça pour en faire sa complice et pour l’accueillir dans ses bras tout en me jetant de petits regards en coin. Je n’étais pas dupe de leur petit jeu, mais je fis mine de les ignorer en m’absorbant dans une méditation profonde qui dura un certain temps.

 

-          Ce n’est  pas tout, dit brusquement Jacques, maintenant que nous sommes ici, tu as peut-être une idée du chemin à suivre pour sortir de ce labyrinthe, Juliette

-          Pas vraiment, mais la taverne ne doit pas être bien loin de la sortie, autrement, ça n’aurait aucun sens, fis-je remarquer 

-          Oui, mais encore faut-il emprunter le bon chemin, et vous connaissant, on n’est pas encore sortis de l’auberge !

-          De la taverne ! Rectifia Jacques pour détendre l’atmosphère

-          Taverne, auberge, c’est kif kif bourricot, ajoutais-je un peu excédée

-          Te fâche pas, m’amour, dit Jacques en récupérant le sac de plage

-          M’amour, attends, on n’est plus à l’âge de pierre, appelle moi Nicole, ça suffira largement !

-          Nicole, ne sois pas aussi nerveuse, ce sont les cuisses de crapaud qui ne passent pas ou quoi ?

-          Non, c’est la bave, j’ai horreur de la bave de crapaud

-          Pourtant, on l’emploie parfois dans certains remèdes !

-          Lesquels ? S’enquit Juliette

-          Elle élimine les rides, ralentit le vieillissement, facilite la cicatrisation…

-          Non, ça c’est la bave d’escargot, rectifiai-je

-          Ah oui, tu as raison, non, on emploie la bave de crapaud dans certaines préparations dont l’effet est semblable aux antibiotiques, tu vois, les crapauds sont utiles

-          La bave de crapaud, c’est surtout des remèdes de sorcières, conclut Juliette

-          Bon, dis-je, on part de quel côté, à présent, il faudrait peut-être se décider si on veut voir le lac un jour ?

-          Je pencherais pour la droite, dit Juliette

-          On te suit, dit Jacques

Nous quittâmes la table sans dire au revoir à personne, car la salle était vide et un silence de mort s’installa dès notre départ. Malgré la médiocrité du repas, nous avions repris des forces car nous nous étions reposés un grand moment. Les retrouvailles avec Juliette nous avaient fait le plus grand bien et nous sentions que l’issue n’allait plus tarder à présent.

A moins que…

 

 

 

9

 

 

 

 

-          Quel jour sommes-nous ? s’enquit Jacques et quelle heure peut-il donc être ?

-          Au demeurant 15 heures, ou un peu plus, répondis-je. Quant au jour, je ne sais plus vraiment : 3 ou 4 août, étant donné que nos vacances commençaient le 2. Oh ! Et ma mère qui va s’inquiéter, je devais lui donner de nos nouvelles dès notre arrivée

-           N’oubliez pas que c’est son anniversaire demain, dit Juliette

-           C’est vrai, j’avais oublié, toutes ces aventures m’ont un peu perturbée

-        Quel âge déjà ? demanda Jacques qui n’est jamais au courant des événements de la vie courante et encore moins de ceux de la famille

-          Oh, elle est très vieille, dis-je, étant donné que nous le sommes déjà à 42, que dire d’une ancêtre de 68 ans !

-          C’est vieux, ça, 68 ans, dit Juliette

-          Bon, allez, pressons le pas, et cherchons plutôt notre route, si l’on veut être au lac à 5 heures ! J’ai hâte d’aller piquer une tête !

-          Moi aussi, dit Juliette

 

Le chemin devenait difficile, il s’était encore rétréci par rapport à celui qui nous avait conduit à la taverne, il avait fallu nous réhabituer subitement à l’obscurité des lieux, et cela n’avait pas été facile, le décor paraissait à présent plus hostile, les roches plus hautes, plus noires et plus tranchantes et la vue beaucoup moins large, c’était une espèce de goulet où nous nous engageâmes sans grand enthousiasme.

-          Attention, m’écriai-je un peu plus loin

Un gros bloc de pierre venait de se détacher de la paroi et frôla Jacques à moins de 10 centimètres de son nez avant d’aller s’écraser quelques mètres plus bas dans un fracas épouvantable

-          Papa, papa ! s’écria Juliette en se précipitant sur son père

-          Ce n’est rien, ma chérie, répondit Jacques le plus calmement du monde et en faisant de son mieux pour la rassurer, juste une petite peur …

 

Décidément mon époux m’épatait de plus en plus, il n’était plus loin, je crois, de décrocher la médaille couplée de l’héroïsme et de la bravoure … Il venait de passer à deux doigts de la mort et pour lui ce n’était qu’un incident anodin. J’aurais voulu le féliciter pour son courage, mais je m’abstins, ne voulant pas trop flatter son orgueil, je me demandais  surtout s’il n’était pas entré subitement dans un état second et si  ce courage et cette bravoure apparents n’étaient pas tout simplement la manifestation d’une soudaine inconscience. Le danger, cette vieille habitude

 

-          Hou, hou, Salut les gars, si c’est avec ça qui z’espèrent attirer l’tourisse, les épas, y s’contentent des pipes, les sacraments…

-          D’où vient cette voix, demanda Juliette, et qu’est-ce que c’est qu’ce charabia ?

-          Aucune idée, dis-je, on dirait que ça sort de ce gros trou, là-haut !

Nos yeux étant encore mal accoutumés à la pénombre,  nous ne parvenions pas à distinguer quel était l’être étrange qui s’y cachait.

-          Je crois voir deux oreilles et deux gros yeux, dit Jacques

-          Ca se peut bien, dis-je

-          On dirait une chouette

-          Ou un hibou

-          Hou hou, les gars, z’êtes pognés ici pour une bonne secousse…

-          Qu’est-ce qu'il raconte ?

-          Je crois que c’est du québécois, dit papa, qui avait fait un stage autrefois à Montréal, ça veut dire je pense : hou, hou, les gars, vous êtes coincés ici pour un bon moment !

-          Le trouble y vient d’la fan qu’était trop slack

-          Quoi ?

-          A force de zigonner su l’starter, t’as mis ta batterie à terre…

-          Monsieur Le hibou, on cherche la sortie, pourriez-vous nous l’indiquer, demanda poliment Juliette

-          Ca gèle en tabaslak dans c’te bouette …

-          Ca doit être un vieux fou qui se croit chez lui en hiver, il dit qu’on gèle ici, dit Jacques

-          En tout cas, pour être bad-locké, z’êtes bad-locké en sacrament, continua la voix

-          Vous n’avez vraiment pas de chance, traduisit Jacques…

-          Qu’est-ce qu’il a avec ses « sacrament », celui-là, dit Juliette, tu peux pas parler comme tout le monde, vieux ouf, lui lança-elle

-          Petite insolente, dit la voix perchée là-haut dans sa niche. Si je veux parler ma langue, je la parlerai, foi de vieux hibou

-          Mais que fais-tu ici, si loin de ton pays ?

-          C’est mon  maître canadien qui m’a « oublié » dans c’maudit trou,  lors  de son  dernier séjour ici, il y a deux ans, ah  l’  écœurant !

-          C’est cruel, dit Juliette

-          C’est  foqué  pour vous, répondit le hibou !

-          Ne dis pas ça, rétorqua Jacques, tu vas nous aider

-          Tabernacle, ciboire, sûrement pas ! Est-ce qu’on m’a aidé, moi ?

-          Mais toi tu es dans ton élément, tu t’es trouvé une maison, des amis, peut-être ?

-          Des amis, des amis, ils parlent tous un jargon complètement débile, je n’ai pas aperçu ici la tête d’un choum  depuis des lustres !

-          Bon, t’en fais pas, fais comme nous, cherche la sortie, et tout s’arrangera

-          Adieu, dit Juliette qui commençait à bien s’amuser avec cet animal étrange et son accent inimitable !

 

                                                         ***

 

-          Je retournerais bien au Québec, dit Jacques, songeur tout à coup

-          Je sais pourquoi, dis-je, allez, avoue-le que tu étais tombé en amour là-bas !

-          C’est de l’histoire ancienne, dit Jacques, il y a prescription !

-          Prescription, prescription, faut dire vite, répliquai-je, il n’existe pas encore de lois pour innocenter les souvenirs coupables…

-          Si je te dis que ce n’était qu’une petite aventure de rien du tout…

-          Mais qui a duré deux ans, tout de même !

-          Ne sois pas jalouse, je ne te connaissais pas encore à cette époque, m’amour !

-          Arrête de m’appeler m’amour, je t’ai déjà dit que ça m’agace !

-          Ne te fâche pas  Nicole, et ne parlons plus de cela devant la petite, ça pourrait la troubler…Allez, viens ma chérie, que je te fasse un gros bec….

Un gros bec, un gros bec, j’aurais plutôt envie à cet instant de lui flanquer une bonne paire de claques,  ça, c’est du bon français que tout le monde  peut comprendre, surtout celui qui la reçoit, la claque  !

 

 

 

10

 

 

 

 

Cette évocation des amours passées de Jacques avaient semé un léger froid entre nous. C’est donc silencieusement que nous reprîmes notre marche, Jacques marchait devant et Juliette s’était accrochée à son bras, sans doute dans l’attente de quelques confidences complémentaires. Mais Jacques se taisait, et nous progressâmes ainsi pendant de longues minutes sans que personne ne prenne l’initiative d’ouvrir la bouche. Au bout d’un moment, n’y tenant plus, je dis :

Croyez-vous que nous ayons emprunté la bonne route ? Comment veux-tu que je le sache, répondit Juliette, je suis comme toi, j’y vais à l’aveuglette, qu’en penses-tu, papa ?  Papa boudait dans son coin, mais la voix de sa fille chérie le fit réagir et il murmura : aides-toi, le ciel t’aidera… Ca veut dire quoi, ça ? Ca veut dire qu’il faut t’en remettre à ta bonne étoile, et si on un peu de chance, on sortira bientôt de cet enfer…

-          Moi je me suis bien amusée, dit Juliette

-          Moi un peu moins, dit Jacques

-          Il faut garder espoir, ajoutai-je, les alpinistes perdus dans la neige ne s’en sortent que s’ils ont bon moral

-          C’est comme les archéologues, ajouta papa

-          Oui, et c’est comme les devoirs, ajouta Juliette, si on n’a pas bon moral, on ne les termine jamais

-          Tu as intérêt à les finir, dit papa, sinon…

-          Sinon, plus de vacances, ajoutais-je maladroitement

-          Ah ! Parle m’en, de ces vacances, dit Jacques, je m’en souviendrai longtemps, enfin, si l’on sort vivants !

-          Jacques, il ne faut pas flancher, jusque-là, tu as fait preuve d’un courage exemplaire, ta fille et moi sommes tellement fières de toi !

-          Oui, papa, on est fières de toi, répéta Juliette en écho et en lui lançant un regard plein d’affection et de tendresse

Cette remarque sembla avoir un effet  instantané sur lui, il ne leur faut pas grand-chose, aux hommes parfois, pour redémarrer d’un bon pied. Les admirer, les flatter, les féliciter et oups, c’est reparti comme en 40 !

-          Allez, dit Jacques, pressons le pas, on a assez lambiné !

-          Pas si vite, les petits amis, dit une voix grave derrière nous, vous êtes arrivés au péage de la rivière tranquille, pour pouvoir la franchir, il faut vous soumettre à un petit test, ce ne sera pas grand-chose.

-          Qui êtes-vous, dit Jacques, qui avait repris sa belle assurance d’avant

-          Je suis le professeur Abribus, autrefois, je m’occupais des transports publics en zone désertique, à présent, je suis responsable du transit des voyageurs de cet hôtel, c’est pourquoi vous me voyez ici !

-          Mais on ne vous voit pas !

-          C’est parce que je suis invisible

-          Mais pourquoi ?

-          C’est pour éviter aux autres d’avoir des a priori sur mon physique, les Humains sont si méchants et si impitoyables…

-          Vous étiez tellement laid ? Questionna Juliette

-          Oh, pas vraiment, mais vous savez, dès qu’on ne fait pas un mètre quatre-vingt, qu’on n’est pas  blond, mince et bien sapé…

-          Mon papa n’est pas blond, mais il est grand et mince, dit fièrement Juliette

-          Mince, faut dire vite, fis-je en me tournant vers lui, quant au costume…

-          C’est les vacances, dit Jacques, on a le droit de se relâcher un peu, non ?

-          Oui, mais un pantacourt à carreaux vert et rouge avec un tee-shirt rayé bleu et blanc, ça n’est pas vraiment le top du bon goût, ajoutai-je en ricanant

-          Moi j’aime bien, dit Juliette

-          C’est normal, c’est votre père, dit la voix, quant à vous, fillette, il faut que je vous félicite, je vous trouve très élégante…

-          Merci Monsieur, c’est très gentil de votre part, dit Juliette, vous aimez le rose ?

-          Naturellement, cela sied très bien à votre teint jeune et frais

-          Verdurette s’est moquée de moi, tantôt !

-          Verdurette, cette commère sotte et méchante ? M’étonne pas, elle se croit la plus belle d’entre toutes les grenouilles, elle ferait bien de surveiller sa ligne, celle-là, si elle continue, m’est avis qu’elle va bientôt éclater !!

Juliette pouffa de rire à cette évocation

-          Bon, ce n’est pas le tout, dit la VOIX, ne perdons pas notre temps en bavardages inutiles, il vous faut répondre maintenant à ma question si vous voulez poursuivre votre route !

-          Si c’est page qu’il faut répondre, on a déjà répondu, dit Juliette

-          Ce serait trop facile, dit la voix, voici ma question : comment obtenir 1000 avec seulement huit 8 ?

-          J’sais pas, dit Juliette

-          Moi non plus, ajoutai-je, j’ai toujours été nulle en maths depuis le primaire…

-          Réfléchissez, dit la voix, je vous donne un quart d’heure…

 

 

 

11

 

 

 

 

Jacques ouvrit le sac de plage et en tira un carnet et un stylo. Malheureusement, il n’y en avait pas un pour chacun de nous. Moi je déclarai forfait dès le départ, comme  je l’ai dit précédemment, je ne sais pas faire une addition, la plus simple soit-elle. Quant à résoudre une énigme, alors là, cela relevait proprement du miracle. Je laissai donc Jacques et Juliette s’asseoir côte à côte et réfléchir ensemble ou séparément s’ils le désiraient. Je m’installai non loin d’eux et en profitai pour faire une petite sieste réparatrice, car toutes ces émotions m’avaient grandement épuisée. L’idée que nous ne ressortirions jamais de ce labyrinthe commençait à prendre forme dans mon esprit et m’épouvantait à chaque minute davantage. De surcroît,  le fait que je ne puisse le manifester ouvertement, à cause de Juliette, augmentait encore mon stress. Il fallait garder la tête haute et donner l’impression que ce n’était qu’une aventure désagréable dont on allait bientôt se tirer. Jacques, quant à lui, affichait curieusement une désinvolture sans faille et une confiance absolue en un dénouement certain et proche.

Le problème majeur pour eux était le manque de lumière. Il leur fallut un certain temps pour s’y accoutumer et distinguer les chiffres qu’ils alignaient les uns derrière les autres et qu’il fallait sans cesse biffer, refaire, ajouter, diviser, multiplier. Cela amusait beaucoup Juliette qui a toujours aimé les devinettes et qui, bonne élève, a un assez bon sens de la réflexion et de la logique. Je ne sais combien de temps dura  ce petit manège, il me semble que ce fut plus d’un quart d’heure, comme l’avait intimé la VOIX, mais à ce point de l’histoire, je ne pourrais pas éclairer le lecteur d’une manière efficace.

-          Alors, les enfants, vous en êtes où ?

-          C’est dur, dit Juliette

-          C’est insoluble, dit Jacques

-          On n’y arrivera pas, soupira Juliette

-          On n’a plus assez de temps, dit Jacques

-          Allez, encore un petit effort, dis-je

-          Tu me fais rire, toi, tu te défiles et tu nous donnes des conseils !

-          D’accord, mais vous savez bien que je suis nulle en maths !

-          On ne sait jamais, un éclair de génie, ou la chance du débutant, dit Jacques

 

 

***

 

-          Hou, hou, fit une voix derrière nous,  vous avez un problème ?

-          C’est le cas de le dire, répondit Jacques, si nous ne répondons pas à cette énigme, nous sommes retenus ici à vie…

-          Monsieur le hibou, aidez-nous, s’il vous plaît, supplia Juliette

-          S’il vous plaît, aidez-nous, réitérais-je

-          Bon, montrez-moi donc cette énigme insurmontable, et passez-moi votre stylo, jeune homme

En entendant qu’on l’appelait jeune homme, Jacques releva fièrement la tête et lui décocha un large sourire, tout en lui tendant son stylo.

-          Attendez, je chausse mes lunettes : écrire 100O en utilisant huit 8, je pose 10 et je retiens 4, je retire 88 et j’ajoute 2, je multiplie par 3 et j’enlève 6… hum hum, voyons, non, ça ne colle pas, 88 plus deux fois 88  plus 88, ça ne colle pas non plus… 888 moins 88 plus 88, ouille ouille ouille…

-          Vous voyez, vous n’y arrivez pas non plus…

-          Laissez-moi le temps de réfléchir, nom d’une chouette,  Lascaut ne s’est pas fait en un jour…

-          Et nous, nous voudrions bien sortir d’ici au plus vite, ajoutai-je

-          Si ça ne vous plaît pas, je repars dans mon trou vite fait, bien fait...

-          Oh non, Monsieur le hibou, s’il vous plaît, dit Juliette

-          C’est bien pour toi que je le fais, ma charmante, car tes parents me paraissent nerveux et impatients

-          Pardonnez-leur, dit Juliette, ce sont des adultes…

-          Je vois, je vois…

-          Vous avez trouvé ?

-          Non, je vois que les Humains ne sont cool et décontractés que jusqu’à un certain âge, après, c’est plutôt la crise de nerfs ou la soupe à la grimace…

-          Quelle belle expression, je ne l’avais encore jamais entendue !

-          Tais-toi et laisse-moi me concentrer, petite.

-          Vous cherchez quelque chose, dit une petite voix derrière un rocher

-          Qui êtes-vous, dit Juliette

-          Je suis Ysengrain du Moulin de la Poivrière, pour vous servir !

-          C’est un beau nom, ça dit, Juliette, et pas courant !

-          Appelez-moi Monsieur le Comte, s’il vous plaît !

-          Monsieur Le Comte, nous avons une énigme à résoudre pour pouvoir nous échapper d’ici et nous n’y arrivons pas !

-          Et ce benêt de strigiforme n’a pas su vous aider !

-          Il a fait tout ce qu’il a pu, mais malheureusement…

-          Bien sûr, avec une cervelle d’oiseau comme la sienne, on n’obtient pas grand-chose

-          Monsieur, je ne …

-          Monsieur le Comte…

-          Monsieur le comte,  je ne vous permets pas de me traiter de cette manière…

-          Et moi je me le permets, c’est le principal…

-          hi, hi, vous êtes trop drôle, lui lança Juliette

-          Cela n’avance pas nos affaires, dit Jacques, qui commençait à s’énerver

-          Monsieur le Comte, dis-je calment, auriez-vous l’aimable obligeance, si cela est de votre ressort, de…

-          Au fait, au fait, on n’a pas de temps à perdre, je suppose ! Qu’elle est-elle, cette fameuse énigme ?

-          Comment écrire 1000 avec seulement huit 8, énonçai-je d’une voix lente et distincte

Ysengrain  se gratta l’oreille droite et gonfla sa belle queue rousse pour en obtenir un panache du plus bel effet.

-          Vous êtes beau ainsi,  Monsieur le Comte,

-          S’il vous plaît, jeune fille, ne me déconcentrez pas …

-          Oh, pardon, monsieur le Comte…

-          J’ai trouvé, claironna Ysengrain, en se grattant l’oreille gauche, c’était trop fastoche !

 

 

 

12

 

 

 

-          8+8+8+88+888  = ?????

-          1000 ! Claironna Juliette

-          Je n’aurais jamais trouvé, avouai-je

-          J’aurais trouvé si j’avais eu plus de temps, dit Jacques

-          Moi aussi, dit le hibou, et puis moi je n’avais rien pour noter...

-          Toujours les bonnes excuses, dit le Comte, quand on a un pois chiche en guise de cerveau, on l’envoie rejoindre ses frères dans  la couscoussière la plus proche…

-          Sale voyou, savez-vous que je peux vous emporter tout entier dans mes serres puissantes et vous déchiqueter d’un seul coup de griffe ?

-          Essaye pour voir, espèce de grand Con d’or, prolétaire sans particules…

-          Messieurs, cessez de vous chamailler, dit Jacques, l’heure est grave et de la réponse que nous donnerons à la VOIX dépendra notre salut, allez, en route, lança-t-il en s’adressant à Juliette et à moi. Et encore merci, monsieur le Comte, pour votre perspicacité !

-          Y a pas de quoi, répondit ce dernier en relevant fièrement la tête et en dressant sa queue à la verticale en signe de domination.

 

***

 

-          Alors cette énigme, vous l’avez trouvée ? Demanda la VOIX

-          Oui, dit Jacques, il faut ajouter huit à huit plus huit, puis 88, puis 888.

-          Eh bien, vous en avez mis du temps, j’ai bien failli perdre patience, vous avez de la chance d’être tombés une journée où les touristes perdus se font plus rares, sinon…

-          Merci, madame la VOIX, dit Juliette, nous  vous en sommes très reconnaissants

-          Bravo, fillette,  tu es bien polie pour une enfant de ton âge, ça fait plaisir de voir des parents qui assument encore leur rôle de parents…

-          On est là pour ça, dit fièrement Jacques, autrement à quoi servirions-nous ?

-          Tant de parents démissionnent, de nos jours !

-          Ce n’est pas notre cas, dit Jacques d’un ton sérieux

-          Je vois, je vois, bonne route à vous, conclut la voix 

-          Bon, maintenant que la route est à nouveau ouverte, que faisons-nous ? Demandai-je

-          Il faudrait déjà trouver la rivière tranquille, mais je n’entends pas couler d’eau…

-          C’est normal, dit Juliette, une rivière tranquille n’a pas de courant…

-          Pas mal observé, dit Jacques, mais on devrait au moins la voir, si on ne l’entend pas ?

-          Ici, tout est bizarre, observai-je, si ça se trouve, il n’y a pas de rivière du tout, ou elle s’est asséchée au cours des ans…

-          Bon, fions-nous à notre instinct, jusque-là, on ne s’en est pas mal sortis, non ?

-          Si on veut, mais sans l’aide de tous ces animaux…

-          Tu veux dire qu’ils sont plus malins que nous ?

-          A bien des égards oui ! Quand nous aurons éliminé toutes les espèces de notre planète, nous serons bien avancés…

-          Comme le monde serait triste sans les oiseaux, les grenouilles, et même les crapauds, les hiboux et les chauves-souris… dit Juliette

-          Ce sont eux qui nous débarrassent de tous les insectes nuisibles, mais le jour où les humains s’en chargeront, avec tous leurs pesticides et autres produits mortels, ce sera la fin du règne animal

-          Et un jour nous disparaîtrons aussi, dit Juliette, puisque nous sommes AUSSI des animaux

-          Bien vu, répondit Jacques, un jour, nous nous éliminerons nous-mêmes et ce sera la fin des haricots…

 

-          Tu veux dire la fin du monde ?

-          Façon de parler, dit Jacques.

 

Nous avions fait un bon kilomètre sans trouver la moindre rivière. Je devais avoir raison, les lieux-dits parfois ne correspondent à rien ou à une réalité tellement ancienne que personne n’en connaît plus l’origine. Tiens, par exemple, quelqu’un se souvient-il encore de l’origine de la rue-du-chat-qui pêche ? Ou de la rivière La femme sans tête ? Et encore de Vin-chaud, Pisse-en-l’air, Trou-gai, Bosquet-Mahaut, Tartagu et bien d’autres ?

 

-          Pourquoi ris-tu ? demanda Jacques

-          Pour rien, répondis-je, je pensais à certains lieux-dits rigolos…

-          Dis, maman, pour voir

-          Concentrons-nous sur notre trajet, dis-je pour couper court, voici une bifurcation qui s’annonce là-bas, que fait-t-on ?

-          On tire à la courte-paille, dit Jacques

-          Oui, oui, dit Juliette en arrachant deux brindilles à un petit arbre rabougri qui poussait contre un rocher, c’est moi qui fait tirer la paille, la plus courte, on va à droite, la plus longue à gauche…

-          Si tu veux, dit papa, et qui va tirer ?

-          C’est toi, dit Juliette en avançant sa main vers lui, ferme les yeux, et tire

-          C’est une lourde responsabilité, dit Jacques

-          Il faut bien que quelqu’un l’assume, et pourquoi pas toi, dis-je

-          Il faut bien un coupable, se résigna Jacques en fermant les yeux et en tirant

-          On va à droite, dit Juliette en sautillant d’un air joyeux

-          Décidément, cet enfant m’étonnera toujours, conclut Jacques

-          Tel père, telle fille, ajoutais-je en riant

-          Dois-je prendre ça pour un compliment ?

-          Tu le prends comme tu veux, dis-je en m’éloignant de lui pour mettre une certaine distance entre nous

 

 

 

13

 

 

 

 

 

Nous espérions de toutes nos forces que le tirage au sort  que Jacques venait d’effectuer serait le bon, Juliette prit le devant de la marche, selon son habitude et nous la suivîmes  d’un bon pas dans l’espoir de nous retrouver bientôt à l’air libre et de commencer enfin nos véritables vacances.  Nous nous trouvions à présent dans une galerie d’apparence calcaire, tapissée de nombreuses concrétions aux formes diverses et suggestives, chacun y voyant qui une forme d’animal, qui une forme humaine ou autre objet insolite.

 

 

 

-          Tiens, on dirait notre voisin Monsieur Glandu, dit Juliette en se plantant devant une protubérance  arrondie d’où semblaient émerger deux yeux exorbités qui lui donnaient  une apparence stupide

-          Et là, ton patron ! Lançai-je à Jacques en ricanant, on dirait qu’il vient d’avaler son manche de parapluie !

-           Ne sois pas sévère avec Monsieur Lambert, dit Jacques, c’est une lourde responsabilité que d’être patron !

-          C’est pourquoi tu ne l’as jamais été toi-même, je suppose

-          Nicole, ne sois pas injuste envers moi, j’ai encore le temps de le devenir, à 43 ans, rien n’est joué encore !

-          Tu n’as pas la trempe d’un patron, Jacques, tu es trop cool, trop bon, si tu veux te faire respecter, il ne faut pas jouer à copain-copain avec les collègues, je te l’ai déjà dit cent fois !

-          Oh, maman, regarde, dit Juliette en riant, on dirait Verdurin, là, avec ses deux grosses joues et son gros bide.

-          On ne dit pas bide, Juliette, voyons, on dit un ventre, tout simplement !

 

 Juliette s’amusait comme une folle à deviner dans ses formes bizarres l’évocation de diverses choses quand soudain, des bruits de voix se firent entendre distinctement en bas de nous.

 

-          Maman, maman, il y a du monde, là-bas !

 

Effectivement, on apercevait au fond de la grotte un groupe de personnes, menées par un homme que je crus reconnaître comme leur guide.

 

 

 

-          Suivez-moi, Messieurs-Dames, nous entrons ici dans cette salle merveilleuse découverte en 1907 que nous appelons la Cathédrale de Cristal. Elle est formée, voyez-vous, par de nombreuses concrétions faites de cristaux triangulaires, une rareté minéralogique que l’on ne rencontre que dans deux autres grottes en France. Un million d’années ont été nécessaires à la formation de ce gouffre et de ses merveilles géologiques…

 

-          Rejoignons-les, dit Jacques, et ainsi, nous n’aurons plus qu’à nous laisser guider vers la sorti

-          Mais comment faire,  dis-je, tu vois bien que nous ne sommes pas au même niveau et que notre chemin ne rejoins pas le leur !

-          Qu’en sais-tu, avançons un peu et voyons s’il y a moyen de descendre !

-          Et si on les appelait, dit Juliette, on n’a qu’à crier et ils nous entendront peut-être !

-          Les sons montent, mais ne descendent pas forcément, dit Jacques

-          Essayons tout de même, dit Juliette !

 

Nous rassemblâmes tout ce qui nous restait de voix et de force en nous et tous ensemble nous mîmes à crier, hurler, nous époumoner, à gesticuler en faisant de grands moulinets avec nos bras, agitions nos mains, mais rien à faire, ils ne semblaient ni nous voir, ni nous entendre.

 

-          Et maintenant, dit le guide, passons à la salle suivante, où se trouve la fontaine, dite pétrifiante, parce qu’elle a le pouvoir de transformer tous les objets qu’on y dépose en concrétions calcaires brillantes du plus bel effet. Vous en trouverez d’ailleurs dans notre magasin à l’entrée de la grotte.

-          Monsieur, monsieur, hurlait Juliette, nous sommes perdus et nous voulons vous suivre, attendez-nous…

 

Mais le groupe avait disparu, le silence se réinstalla brutalement, nous laissant déçus et découragés  d’avoir manqué une si belle occasion.

 

 

14

 

 

 

 

 

-          Bon, dit Juliette, plus de temps à perdre, si nous avons rencontré des groupes de touristes, c’est que nous ne sommes pas loin de la sortie.

 

-          Tu as raison, dit Jacques, tous les chemins mènent à Rome et tous les « boyaux » sans doute à l’air libre

 

-          Etant donné notre position, ajoutais-je, il semblerait que nous soyons plus près de la terre ferme qu’eux et que nous ayons moins de chemin à entreprendre qu’ils n’en auront eux-mêmes à effectuer

 

-          Tout à fait, dit Jacques, poursuivons notre avancée de ce côté et ce serait bien le diable si nous ne trouvions pas rapidement une échappée quelque part

 

-          En avant, marche, s’écria Juliette, plus décidée que jamais

 

 

 

 

 

 

***

 

 

 

 

 

 

-          MA fille est extraordinaire, me chuchota Jacques à l’oreille, quel courage et quelle détermination, je ne la reconnais plus.

 

-          NOTRE fille , précisai-je en appuyant bien sur le NOTRE, a su s’adapter à une situation difficile et pleine d’imprévus, tu vois, tu lui reprochais récemment de lire des contes fantastiques et des histoires qui font peur, mais les enfants adorent ça, ce qui fait que, lorsqu’elle s’est trouvée confrontée à un environnement hostile, des animaux qui parlent et à des voix d’outre-tombe, cela ne l’a pas réellement épouvantée, juste un peu au début, le temps de s’habituer, tandis que nous…

 

-          Tandis que nous, bien ancrés dans notre réalité  et notre train-train quotidien, nous nous sommes laissé dépasser par ces événements imprévus et fantasmagoriques, dit Jacques,  les mondes imaginaires et magiques sont bien loin de nous à présent, il nous faut donc beaucoup plus de temps pour nous habituer et nous débarrasser de nos peurs et de nos phobies

 

-          Tout à fait, admettais-je, mais reconnais que nous ne nous en sommes pas mal tirés, grâce en partie à Juliette, je l’admets…

 

-          Grâce à Juliette, oui, mais nous avons été aussi bien courageux, m’amour, avoue-le

 

 

 

Pour une fois, je ne fis aucune remarque sur le m’amour qui m’agaçait tant récemment, le temps n’était plus à ces détails futiles, il fallait que l’on s’en sorte, qu’on sauve notre peau, et au plus vite. Le temps commençait à devenir notre ennemi le plus redoutable et il allait nous falloir lui livrer une lutte sans merci.

 

 

 

-          Viens m’amour que je t’embrasse, dit Jacques dans un élan de tendresse

 

 

-          Alors, les amoureux, dit Juliette qui avait vu le manège, il serait temps d’avancer plutôt que de se bécoter derrière mon dos à un détour du chemin…

 

 

-          Juliette, dit Jacques, ces histoires de grandes personnes ne te concernent pas, tu es trop petite pour…

 

 

-          …Trop petite pour vous voir vous rouler une pelle, mais assez grande pour passer devant et vous indiquer la route, eh bien, merci, elle est belle la famille…

 

 

-          Juliette, un peu de respect pour ton père,  et stoppons là ces querelles, il faut rester soudés jusqu’au bout, si nous voulons sortir vivants de ce piège !!

 

 

-          Alors qu’il cesse de me prendre pour une gamine, dit Juliette, depuis que je suis ici, je suis sûre que j’ai grandi d’au moins 5 centimètres !

 

 

-          Ca ne m’étonnerait pas, les souterrains, ça fait pousser les champignons, alors pourquoi pas les demoiselles telles que toi, dit Jacques en riant. Allez viens, que je te fasse la bise, tu la mérites bien

 

 

 

 

Juliette retourna sur ses pas et se mit sur la pointe des pieds pour atteindre son géant de père. Et moi, dis-je, je n’ai droit à rien ? Mais si, dit Juliette, tiens, tu l’auras aussi, ton bisou ! Après ces effusions réciproques, nous repartîmes dare-dare en tendant d’allonger le pas et de prendre un rythme de croisière respectable. La corniche sur laquelle nous progressions depuis quelques heures s’était évasée et débouchait sur un espace large et agréable, parsemé de concrétions luisantes, séparées par des cuvettes parfois remplies d’eau d’où émergeaient de petites stalacmites de forme curieuse et de hauteur inégale. Juliette trouva cet endroit adorable et s’amusa à se regarder dans l’eau où son image lui revenait déformée, tantôt immense ou tantôt énorme, elle se tenait alors à elle-même des conversations burlesques du genre : alors madame, trop mangé de choux à la crème, ces jours-ci ? Ou bien : alors, madame, ce régime,  ça marche apparemment ! Elle voulut nous intégrer dans son jeu, mais nous lui rappelâmes que plus on avancerait vers la sortie, mieux ce serait. Son humeur enfantine avait repris le dessus, ce dont nous nous réjouissions  tout de même malgré la perte de temps occasionnée.

 

 

-          Je vois là-bas en face une sorte d’ouverture en arc de cercle, cala m’a tout l’air d’être un passage possible, dit Jacques, allons voir si vous voulez

 

-          Bonne idée, dis-je, ça m’a l’air très bien par là

 

-          D’accord, dit Juliette

 

      

 

Et nous nous engouffrâmes dans une sorte de goulet sombre et un peu étroit, qui contrastait subitement avec la clarté de la salle précédente.

 

 

 

-          Ne nous affolons pas, dit Jacques, ça ne va pas sans doute pas durer longtemps

 

-          Tant mieux, dis-je, car ça donne un peu les chocottes…

 

-          Vous trouvez ? dit Juliette,je trouve ça  plutôt marrant, non ?

 

 

 

 

***

 

 

 

 

-          Qui va là ?  Cria une voix qui semblait venir du plafond. Nous avions beau  lever les yeux et regarder en l’air, nous ne distinguions rien.  

 

-          Qui êtes-vous ? Balbutia Juliette d’une voix douce et charmeuse, qui contrastait avec l’horrible voix sinistre et caverneuse qu’elle venait d’entendre

 

-          Vous osez me demander qui je suis, alors que nous ne vous êtes pas présentée, petite insolente ?

 

-          Pardon, Monsieur…

 

-         Madame ! Ici, on fait encore la distinction entre les genres, ne vous en déplaise, mademoiselle…

 

-          Je suis Juliette, dit Juliette, ma mère c’est Nicole et mon père Jacques

 

-          Prénoms stupides, bon, passons, que faites-vous ici ?

 

-         Nous nous sommes perdus en sortant de notre chambre et voilà trois jours que nous cherchons la sortie…

 

-          Chambre numéro ?

 

-          Treize, dit Juliette

 

-          Numéro stupide, mais passons, comment avez-vous fait pour vous perdre ?

 

-          Ben, on est déjà passés par les bains romains, puis par le repaire des chauves-souris, on a vu aussi César le crapaud savant, et Verdurin et  Verdurette la grenouille…

 

-          Mon Dieu, ne cherchez pas plus loin, elle a dû vous jeter un sort…

 

-          Oh non, elle avait l’air si gentille !

 

-          Ne vous fiez pas à elle, il faut se méfier de l’eau qui dort … et des stupides créatures qui se cachent dans ses herbes, ajouta la voix mystérieuse

 

-          On a aussi rencontré une chauve-souris et un hibou canadien, dit Juliette

 

-          Stupide animal, ils ont tous essayé de me manger, mais aucun d’eux n’a jamais réussi jusqu’à ce jour !

 

-          Et aussi un renard qui se fait appeler Monsieur le Comte et un chat du nom de Calamity ajouta Juliette

 

-          Ah oui, stupide chat, mais lui, au moins, n’a pas cherché à m’avaler, il préfère les souris et les rats qui grouillent dans cet endroit…

 

-          Vous ne m’avez toujours pas dit votre nom, ajouta Juliette…

 

 

 

15

 

 

-          A quoi  bon vous dire mon nom, dit la voix, si vous ne me voyez pas. Regardez bien en haut à gauche, contre la paroi, vous n’apercevez rien ?

 

-          Il fait si sombre ici, dit Juliette, tu vois quelque chose, papa ?

 

-          Non pas vraiment, et toi, Nicole ?

 

-          Il me semble que l’on a bougé, dis-je, sans trop savoir

 

-          A quoi ressemblez-vous ? Demanda Juliette

 

-          J’ai huit pattes velues, un énorme corps tout noir et deux gros yeux qui vous observent depuis un moment, dites donc, d’après ce que je vois, vous ne brillez pas par votre élégante, et ces couleurs pétantes me font mal aux yeux ! Surtout les vôtres, mademoiselle !

 

-          Qu’avez-vous à redire sur ma toilette, chère madame ?

 

-          Je dis que le rose est la couleur que je déteste le plus avec le rouge coquelicot, le vert prairie et le jaune fluo

 

-          Alors, c’est quoi votre couleur préférée ?

 

-          J’adore le noir ébène, le gris souris, le charbon, l’anthracite, le jais, le corbeau…Quant à vous, monsieur, je n’ose même pas vous parler de votre tenue, j’en attraperais une crise d’urticaire sur le champ rien qu’à vous regarder

 

-          Vous exagérez, chère inconnue, dit Jacques, on voit que vous ne sortez guère de votre trou

 

-          Ne me dites pas que vous êtes à la mode, ça ne prend pas avec moi, en revanche, petite madame, je vous trouve certes classique, mais habillée avec goût

 

-          Merci madame… comment déjà ?

 

-          Je m’appelle Gypsy, Gypsy Queen, à ne pas confondre avec les Gypsy King, rien à voir avec ces êtres bruyants et agités qui chantent dans une langue inconnue

 

-          Mais c’est un très bon groupe, protesta Jacques

 

-          Pour vous peut-être, mais mes oreilles délicates ne supportent pas autant de décibels, elles n’aiment que le noir, le calme et la tranquillité…

 

-          Vous êtes une araignée ? Demanda Juliette 

 

-           Oui, mais attention, pas n’importe laquelle, je suis une espèce géante du genre des tégénaires, quand j’ai bien faim, je peux engloutir 30 mouches, 10 sauterelles et 50 moustiques en une seule bouchée

 

-          Tout ça d’un coup ? dit Juliette

 

-          Oui, et juste pour mon petit déjeuner, pour mon déjeuner, ce sera 15 lézards, 30 libellules et 18 frelons…

 

-          Ca fait beaucoup, et vous arrivez à bien digérer ?

 

-          Je fais des stocks dans ma toile et je me sers quand j’ai une petite faim, c’est commode, hein ?

 

-          Oui, en fait, c’est comme nous avec le frigo ! Dit Juliette

 

-          Oui, et même avec le congèle, mes proies se conservent bien dans cette fraîcheur ambiante et ne risquent pas de se sauver, croyez-moi, ajouta Gypsy en éclatant de rire !

 

-          Si vous descendiez un peu pour nous voir, dit Juliette, on saurait mieux à quoi vous ressemblez !

 

-          Vous n’avez pas peur des araignées ?

 

-          Non, dit Juliette

 

-          Si, un peu, dit  Jacques

 

-          J’ai horreur de ces bestioles, ajoutai-je

 

-          Vous osez me traiter de bestiole, Nicole, et moi qui vous faisais des compliments sur votre toilette, tiens, j’ai changé d’avis, en fait, je vous trouve sapée comme un sac à patates et on dirait que vous vous êtes coiffée avec votre grille-pain !

 

-          Allons, du calme, dit Juliette,  n’insultez pas ma mère, ce n’est pas sa faute si elle est…. Comment on dit déjà, papa ?

 

-          ARACHNOPHOBE , chérie, maman est arachnophobe

 

-          C’est la meilleure ça, et moi je suis humanophobe, ou mieux Nicolophobe, dit l’araignée en me fixant de ses gros yeux ronds,  ça vous va, comme ça ?

 

-          Hi hi, pouffa Juliette, c’est marrant ça, Nicolophobe…

 

-          Bon, ça va, dis-je vexée, n’en rajoute pas, si madame est susceptible, je n’y peux rien…

 

-          Je suis ici chez moi, dit Gypsy et vous, vous n’êtes que des intrus qui venez troubler ma quiétude et ma tranquillité

 

-          Pas notre faute si nous nous sommes perdus, dit Juliette

 

-          Aidez-nous plutôt à retrouver notre route, supplia Jacques

 

-          Essayez de sortir d’ici pour voir, dit Gypsy, ma toile est plus dure que de l’acier, et rien ne peut la rompre…

 

-          Mais votre toile, elle est en haut, avec vous, dit Juliette

 

-          J’en ai plusieurs, répondit Gypsy, dont une qui obstrue la sortie de ce tunnel et bien malin celui qui passera au travers !

 

-          Gypsy, ma jolie Gypsy… susurra Juliette, d’une voix enjôleuse

 

-          Jolie, on voit bien que tu ne me connais pas, quand tu me découvriras, tu changeras d’avis

 

-          Ah non, sûrement pas, dit Juliette en mentant effrontément…

 

-          Est-ce que vous êtes venimeuse ? demanda Jacques, par précaution

 

-          En principe non, mais quand je m’énerve, je peux sécréter une sorte de produit toxique et alors, gare à celui ou à celle qui se trouve sur mon passage

 

-          Sauvons-nous d’ici, criai-je, épouvantée

 

-          Madame, s’il vous plaît, un peu de tenue, et essayez de garder votre sang froid, je vous croyais plus courageuse…

 

-          Puisque je vous dis que je suis…

 

-          Oui, je sais, arachno quelque chose, il n’y a que les Humains qui puissent inventer des mots pareils !

 

-          C’est du grec, précisa Jacques

 

-          C’est de la frime tout simplement, c’est pour tromper les pauvres gens comme moi qui n’ont pas été à l’école, il a fallu que j’attende 35 ans avant d’entendre parler du …du…grec dites-vous, comme ça, au moins, je ne mourrai pas idiote…

 

-          On s’instruit à tout âge, dit Juliette

 

-          Oh toi, la môme, rabaisse ton caquet, dit Gypsy, très en colère

 

-          Je ne voulais pas vous vexer, dit Juliette

 

-          Eh bien c’est fait, allez, filez et ne vous avisez pas de vous retrouver à nouveau sur ma route, dit Gypsy, ou gare à vous…

 

-          Mais il n’y a qu’une route, dit Jacques, nous ne pouvons pas rebrousser chemin…

 

-          Eh bien, avancez donc, et quand vous arriverez à ma toile, vous comprendrez votre douleur…

 

-          Allons-y tout de même, dit Juliette…

 

 

 

 

 

 

16

 

 

 

 

 

Je leur avais emboîté le pas sans grand enthousiasme, découragée d’avance par les paroles prononcées par cette perfide araignée. J’espérais juste qu’elle ait voulu nous impressionner avec ses menaces et qu’il n’y n’existe pas d’obstacle assez grand et solide qui puisse entraver notre chemin. Malheureusement  nous dûmes  vite déchanter, quelques mètres plus loin, nous nous trouvions confrontés à une gigantesque toile qui fermait le passage de haut en bas, et de long en large…

 

 

 

-          Mille millions de sabords, s’écria Jacques, qui se souvint tout à coup de ses lectures de jeunesse

 

-          Espèce de tétanisée du cerveau de la tête, hurla Juliette, hors d’elle

 

-          Troglodyte velue, traficante de chair humaine, mitrailleuse à bavette, enchaîna Jacques

 

-          C’est vrai, quoi, lâche-nous le slip… et va de faire scrabouiller ailleurs, espèce de sale bête !

 

-          Oh, calmez-vous, vous deux, dis-je, lancer des injures n’arrangera pas nos affaires, bien au contraire

 

-          Qui se permet  de m’insulter de la sorte ? Lança la mygale qui se rapprochait dangereusement de nous

 

-          Je  ne vous insulte pas, dit Jacques, je me suis soudain souvenu des répliques de ce bon vieux Capitaine Haddock, vous connaissez ?

 

-          Et moi, je lisais un album de Titeuf, vous voyez bien qu’on ne vous en veut pas !

 

-          Attends, je ne suis pas née de la dernière glaciation,  si vous croyez me piéger avec vos citations tordues, détrompez-vous, j’ai avalé assez de mouches dans ma vie pour ne pas en avoir hérité la finesse…

 

-          Et  aussi l’élégance, ajouta Juliette

 

-          Et la mansuétude,  ajoutai-je prudemment

 

-          Ta ta ta, vous me m’aurez pas avec vos arguments sucrés, et vos mots aussi enchevêtrés que les fils de ma toile, essayez de parler comme tout le monde, si vous voulez qu’on vous comprenne

 

-          Madame Gypsy, qu’est-ce-qui vous ferait plaisir ? Demanda Juliette

 

-          Plaisir, plaisir, quel mot stupide ! Pour moi le plaisir c’est de tisser ma toile, de piéger mes victimes, puis de les dévorer et d’aller dormir. Connaissez-vous une vie plus heureuse que la mienne ?

 

-          Evidemment que j’en connais, on peut s’instruire, voyager, faire de la musique, de la peinture, du yoga, de la danse classique… que sais-je encore, dit Juliette

 

-          De la danse classique, voilà la meilleure, vous me voyez en tutu blanc ou en collant rose comme vous, espèce de pimprenelle qui passez votre temps à me narguer !

 

-          Pourtant les araignées sont réputées pour leur souplesse, plaisanta Jacques

 

-          Et puis, si elles se cassent une jambe, il leur en reste encore 7 de rechange ! Ajouta Juliette en riant

 

-          Ah, ah, ah, très drôle,  je m’en fends la toile de rire ! Tu me demandes ce qui me ferait plaisir, eh bien, va me chercher 10 belles mouches à viande, et je te délivre, toi et tes stupides parents…

 

-          Mais comment faire, je n’ai pas de filet

 

-          Eh bien, tu les attrapes à la main, et tu me les rapportes dans la demi-heure, c’est ça ou la prison à vie…

 

 

 

Juliette s’assis sur une pierre, juste à la verticale de ce gros animal velu qu’elle n’avait pas encore bien distingué, mais dont la voix menaçante suffisait à la remplir de frissons. Elle venait de comprendre que Gypsy l’araignée n’était pas de nature à plaisanter et qu’elle ne l’aurait pas par les bons sentiments. De son côté, attraper les mouches n’était pas son occupation favorite et elle ne se sentait pas capable  de réaliser un tel exploit. Tout à coup, il lui vint une idée : appeler son amie la chauve-souris à la rescousse et lui demander de faire le travail à sa place, rien de mieux qu’une chauve-souris pour attraper les mouches. Mais où pouvait-elle donc se trouver ? Le mieux était de crier le plus fort possible, dans ces espaces creux, la résonance et l’amplitude de l’écho sont importants et si elle donnait assez de voix, peut-être Pipistrelle l’entendrait-elle :

 

 

 

-          Pipis, Pipis, j’ai besoin de ton aide, je suis dans le repaire de cette méchante araignée velue, qui dit s’appeler Gypsy Queen, mais je crois que c’est une menteuse, elle n’est pas plus reine que moi je ne suis princesse…

 

-          Ne raconte pas ta vie, dit Jacques, va à l’essentiel…

 

-          Pipis, pipis, viens à notre secours ou nous allons mourir !

 

-          N’en rajoute pas non plus, dis-je, il faut savoir rester digne, même dans les moments les plus durs…

 

-          Tu peux parler, toi, dit Juliette, ce n’est pas à toi qu’on a demandé de tuer des mouches…

 

-          Dieu m’en garde, répondis-je, j’ai autant horreur des mouches que des araignées

 

-          Pourtant parfois il faut choisir son camp, répondit Juliette

 

-          Bien raisonné, mais dans ce cas précis, je préfère m’abstenir, répondis-je à voix basse, pas très fière de ma lâcheté

 

-          Pipis, Pipis, reprit Juliette, on a besoin de toi.

 

 

 

Tout à coup un bruit d’ailes se fit entendre, ce fut déjà comme un léger bruissement de feuilles, puis le son s’amplifia jusqu’à envahir nos tympans au risque de les faire exploser. Pipis était là, devant nous, accompagnée de deux collègues toutes semblables à elle et qui nous saluèrent très gentiment.

 

 

 

-          J’ai amené du renfort, dit Pipis

 

-          Je vois, merci beaucoup, dit Juliette, si vous pouviez me trouver 10 mouches et au besoin quelques sauterelles et lézards, cela ferait bien plaisir à cette idiote d’araignée qui ne vit que pour se remplir la panse…

 

-          On va essayer de te trouver ça, mais en ces temps de famine, ça ne va pas être facile !

 

-          Prenez votre temps, la vieille attendra bien un peu, dit Juliette

 

 

 

Puis les trois chauves-souris s’envolèrent dans une synchronisation quasi parfaite, nous laissant sur notre pierre, dans l’espoir qu’elles trouvent dans la caverne quelque point d’eau où elles auraient plus de chance de capturer ces insectes. Nous en profitâmes pour faire une petite sieste salutaire. Je me mis à rêver d’une mer limpide et merveilleuse où évoluaient des poissons multicolores, le soleil brillait sur la plage chaude et dorée, Jacques m’enduisait de crème solaire et Juliette s’amusait dans le sable. A un moment, je me suis approchée d’elle, je lui ai demandé : que construis-tu là, un château ? Elle m’a répondu : non, je dessine Gypsy, l’araignée. En effet, une énorme araignée  à huit pattes et au corps gigantesque avait surgi du sable et semblait vouloir s’en échapper pour me dévorer toute crue.

 

-          Pitié, madame l’araignée, hurlai-je, ne me mangez pas, vous allez avoir vos mouches et vos lézards !

 

Je me suis réveillée en sueur de cet horrible cauchemar. Jacques et Juliette dormaient paisiblement à mes côtés, on aurait dit que rien ne pouvait les réveiller.

 

 

 

 

 

17

 

 

 

Nous étions tous les trois assis en attendant le retour des pipistrelles, GQ (Gypsy Queen) nous avait abandonnés pour aller renforcer sa toile, craignant sans doute que nous nous échappions de l’endroit avant de lui avoir livré le festin promis. Jacques s’était replongé dans son livre, Juliette  guettait le retour de son amie et moi je tentais d’oublier la présence de cette horrible créature et dans quelle situation je me trouvais. Combien de temps dura cette attente, je ne saurais le dire. Le temps n’existe plus dans ces profondeurs où rien, pas même un rayon de soleil, ne peut nous indiquer s’il fait jour ou nuit à l’extérieur.

 

Soudain, des bruissements d’ailes se firent entendre au loin. Juliette se précipita du côté d’où provenaient ces bruits, puis des grincements annonçant l’approche du groupe se précisèrent  sur la gauche, plus de doute possible, un vol coordonné de pipistrelles  annonçait l’arrivée heureuse de la récompense promise à cette vilaine araignée. Mais apportaient-elles les insectes et autres proies en nombre suffisant, telle était la question ! Car si notre geôlière n’obtenait pas satisfaction, nous devrions une fois de plus renoncer à notre espoir de progresser vers la sortie et de retrouver enfin une liberté bien gagnée.

 

Le vol des pipistrelles semblait être  plus lourd qu’à l’accoutumée, c’était bon signe, signe que leurs pattes et leur gueule était chargés sans doute des proies attendues. Les chauves-souris se posèrent en douceur sur le sol. Chacune avait dans sa bouche environ quatre mouches, Pipis avait de surcroît, bien serré entre ses pattes, un joli lézard mort d’environ quatre centimètres, ce qui ne pourrait déplaire à cette goinfre d’araignée.

 

-          Merci mesdames, dit Jacques en prenant les mouches une à une dans le creux de sa main

 

-          Y a pas de quoi, répondit Pipis en battant un peu des ailes avant de reprendre son envol, ce fut un grand honneur pour moi que de vous rendre service…

 

 

 

Juliette s’empara du lézard, non sans un petit pincement au cœur, elle est comme moi, elle n’aime pas voir les animaux morts.

 

Puis Juliette cria :

 

-          Gypsy, Gypsy, voilà tes mouches et ton lézard

 

-          Minute papillon, laisse-moi faire le dernier noeud et j’arrive, répondit Gypsy du haut de son énorme toile

 

 

 

Enfin GQ se mit en route pour nous rejoindre, ce qui mit un certain temps, car je crois qu’elle prenait plaisir à traîner pour faire durer le plaisir, ou plutôt pour entretenir notre impatience et nous contrarier une fois encore.

 

 

 

-          Le compte est bon, dit Gypsy, après avoir examiné ses proies une à une pour voir si par hasard l’une de ces demoiselles n’en aurait pas croqué une au passage. Gypsy savait très bien que si elle était encore en vie aujourd’hui, c’était uniquement à cause de sa taille qui décourageait les plus audacieux de ses prédateurs.

 

-          A présent suivez-moi, ajouta t’elle avec une pointe de regret dans la voix.

 

 

 

Nous la suivîmes jusqu’à l’entrée de son repaire, c’est-à-dire précisément à l’endroit qu’il nous fallait franchir pour poursuivre notre route et atteindre enfin la sortie. GQ se dirigea vers une cavité de la roche, à l’entrée de son domaine d’où elle extirpa une paire de ciseaux à sa mesure et les tendit à Juliette

 

 

 

-          Tiens, gamine, découpe la toile avec ça, ça te passera le temps.

 

Juliette ne se le fit pas dire deux fois, elle s’empara des ciseaux et se mit à entailler méthodiquement la toile en commençant par le milieu. Au bout de quelques minutes, le trou était suffisant pour passer, nous devions juste, Jacques et moi, nous baisser pour ne pas nous prendre les cheveux dans le reste de la toile qui était dense et solidement fixée à la paroi.

 

-          Passe-moi les ciseaux, dit Jacques à Juliette, que je donne quelques coups supplémentaires.

 

Cette fois, la déchirure était assez large pour que nous passions tous sans difficulté.

 

-          Bon, ça va, là, dit GQ, ne m’obligez pas tout de même à tout recommencer, j’ai des choses plus urgentes à faire pour l’instant !

 

-          Lesquelles ? Demanda Juliette

 

-          Eh bien, déguster mon petit-déjeuner, pardi, dit Gypsy, et vous, filez d’ici et en vitesse, que je ne vous voie plus traîner dans les parages…

 

-          Au revoir, Gypsy, dit Juliette

 

-          Au revoir, dit Jacques

 

Et moi je partis sans saluer, et sans me retourner, trois ans après cette terrible aventure, j’ai toujours autant peur des araignées.

 

 

 

 

 

***

 

 

 

- Cette fois-ci, dit Jacques, je pense que nous ne sommes pas loin de la sortie
- Je le pense aussi, ajoutai-je
- Faudrait pas se gourer une fois de plus, dit Juliette
- On ne dit pas se gourer, on dit se tromper
- Oui, bon, c’est pas grave, y a plus grave que ça, non ? Je propose d’aller tout droit et de prendre le chemin qui monte, qu’en pensez-vous ?
- Bonne idée, enfin, pas plus mauvaise qu’une autre, ajoutai-je

 

Et nous voici repartis dans notre marche improbable, nous marchions en silence, seul le bruit de nos pas réguliers qui martelaient la pierre cassait un peu la monotonie des lieux où nous avions fini par nous habituer depuis toutes ces heures  passées à  arpenter sans répit souterrains, cavernes et gouffres, à monter et descendre tout au long de ces galeries sans en trouver pour l’instant la sortie.

 

-          Ca va, ma chérie ? S’enquit Jacques en se retournant vers moi

 

-          Il le faut bien, dis-je, on n’a pas le choix

 

-          On va s’en sortir, dit Juliette, toujours optimiste et confiante en l’avenir

 

-          Naturellement, ma chérie, dit Jacques en la prenant dans ses bras et en l’embrassant

 

-          Et moi, dis-je, je n’ai droit à rien ?

 

-          Bien sûr que si, dit Jacques en me prenant par le cou d’une main sans lâcher pour autant Juliette

 

-          On forme une bonne petite équipe, dis-je

 

-          Oui, à la vie à la mort, dit Juliette

 

-          A la vie surtout, corrigea Jacques

 

 

 

 

 


 

18

 

 

 

-          A la vie si je le veux bien, dit soudain une voix haut-perchée entre deux arbres trapus dont il manquait les feuilles.

 

Vu l’obscurité et l’état de notre fatigue, nous ne parvenions pas à distinguer si c’était juste une voix, ou un homme ou un oiseau, ou encore quelques-uns de ces curieux personnages que nous avions croisés tout au long de la route,  souvenez-vous : il y eut dans l’ordre, en dehors des voix entendues ici ou là :

 

  

 

  

Un robot

Un crapaud (César)

Une grenouille

Des chauves-souris et Pipistrelle

Un chat

Verdurin et Verdurette, les cousins de César

A nouveau le robot

Un hibou qui parle canadien

Le professeur ABRIBUS (invisible)

Un autre hibou

Ysengrain le renard

Un guide et des touristes
Gypsy l’araignée géante

 

 

 

 

 

 

Non, ce n’était ni un oiseau, ni une grenouille, ni un hibou, ni  un chat ni un renard, mais un vieillard chenu et décharné qui était juché sur une espèce de  trône taillé en hauteur directement dans la pierre. Il portait une sorte de chasuble blanc écru fermée à la taille par une cordelette et munie de longues manches évasées. Sa grande barbe poivre et sel taillée en pointe lui arrivait pratiquement à la taille.

 

-          Il me semble vous avoir déjà vu quelque part, dit Juliette

 

-          Ne serait-ce pas dans Fort-Boyard ? hasardai-je

 

-          Vous faites erreur, chère madame, dit l’auguste vieillard d’une voix douce et ferme, moi je suis le Père Fougasse, rien à voir avec ce comédien dont vous parlez et qui s’est servi de mon nom pour animer l’ émission en question,  en fait, j’existais bien avant lui et c’est moi qui ai lancé ici la mode des énigmes il y a 30 ans…

 

-          J’en mangerais bien un peu, moi,  dit Juliette

 

-          De quoi ?

 

-          Ben de votre nom, père Fougasse, j’ai un de ces creux !

 

-          Elle est rigolote, votre fille, dit le père Fougasse en esquissant un vague sourire

 

-          Elle ressemble à son père, dit Jacques, toujours prête à faire un bon mot !

 

-          Oui, hélas, ajoutai-je, dommage que ce soit toujours les même blagues qui reviennent !

 

-          On ne peut pas se renouveler constamment, constata le père Fougasse, bon, mes amis, si vous êtes ici, je suppose que c’est parce que vous cherchez la sortie ?

 

-          Exactement, répondîmes -nous en chœur

 

-          Eh bien, je peux vous annoncer déjà une excellente nouvelle : c’est que vous n’êtes plus loin de votre retour  sur la terre ferme, j’espère que vous aurez passé un bon séjour parmi nous et que…

 

-          Bon séjour, vous plaisantez, j’espère, sauf si pour vous  être mort de peur, mort de froid, de faim et de fatigue représente un bon séjour, alors là, vous avez tout bon !

 

-          Restons calmes, dit le père Fougasse, la sagesse doit toujours l’emporter sur la révolte, et si vous voulez recouvrer votre liberté, eh bien, vous devrez encore vous soumettre à une dernière énigme.

 

-          La dernière, promis ?  Insista Juliette

 

-          Promis, juré, foi de père Fougasse, asseyez-vous sur cette pierre et écoutez-moi bien :

 

 

 

Si tu trouves le passage,
Alors je t’apparais,
Tu pourrais me garder ou bien me partager
Mais si tu me partages
Alors je disparais

 

QUI SUIS-JE ?

 

 

 

-          Quel est le plus doué de vous trois ? Demanda le père Fougasse 

 

-          Bof…

 

-          Bof bof…

 

-          Bof bof bof….

 

-          Eh bien, c’est encourageant, je ne savais pas que j’avais affaire à une famille de bofs…

 

-          Ne nous insultez pas, père Fougasse, sachez que nous sommes fatigués, affamés…

 

-          … et qu’on a sacrément soif, dit Juliette

 

-          Bon, approchez, je vous donne une bouteille d’eau, mais ensuite, promettez-moi de réfléchir sérieusement

 

-          Oh merci, cria Juliette en se précipitant au bas du rocher où se tenait le grand sage

 

-          Attention, je te la lance, mais rattrape-la bien

 

-          Pas de problème, dit Juliette…

 

Nous n’avions jamais bu si vite autant de quantité d’eau. Jacques faillit s’étouffer en avalant de travers, je conseillai à Juliette de boire lentement, car l’eau était froide, mais délicieusement parfumée.

 

-          Je la tire au puits de la fontaine magique, dit le sage, elle est toujours aussi claire et sa source est intarissable

 

-          Elle sent un peu le menthol, dit Jacques

 

-          C’est normal, il pousse sur les parois du puits une espèce de plante aromatique qui ressemble à de la menthe

 

-          Elle est bonne, dit Juliette en récoltant les quelques gouttes qui avaient coulé hors du récipient

 

-          Il ne faut rien perdre, dit Jacques, c’est là où l’on se rend compte qu’on est dans une société de surconsommation

 

-          Et de gâchis de la nourriture, ajoutai-je

 

-          Oui, dit Fougasse, ici, on apprécie la plus petite parcelle des denrées que nous pouvons nous procurer

 

-          Je vois, à votre aspect plutôt fragile, que vous ne devez guère faire d’excès, souligna Jacques

 

-          Eh bien, je ne m’en porte pas plus mal, rendez-vous compte qu’à 78 ans bien tassés, je n’ai eu qu’un seul rhume de toute ma vie

 

-          Ah  oui, et comment  avez-vous fait ? Demanda Juliette

 

-          Je suis sorti au grand air, il faisait 40 degrés dehors et j’ai pris froid

 

-          Vous avez pris froid avec 40 degrés  !!

 

-          Oui, enfin, c’était  une espèce de chaud et froid, si vous voulez, passer de 6 degrés à 40, avouez que ce n’est pas banal ! Allez, au travail et réfléchissez bien, l’énigme ne devrait pas vous poser trop de problème, surtout pour toi, Juliette, je sais que tu as brillé lors de la première énigme, alors, concentre-toi et tu trouveras…

 

-          Les nouvelles vont vite, dit Juliette

 

-          Oui, plus vite que nous pour arriver jusqu’ici, conclut Jacques

 

 

 

 

 

***

 

 

 

Si tu trouves le passage,
Alors je t’apparais,

 

-          La porte, la sortie, la lumière, le soleil,  la liberté, la…dit Juliette

 

Tu pourrais me garder ou me partager

 

-          On ne peut pas garder une porte, ni la sortie, ça ne va pas…

 

 

 

Mais si tu me partages
alors je disparais

 

 

 

-          Quel casse-tête, on ne s’en sortira pas, dis-je, découragée

 

-          J’ai une idée, dit Jacques

 

-          Une fois n’est pas coutume, ironisai-je

 

-          Laquelle ? demanda Juliette

 

-          On dit bien que la vérité sort du puits ?

 

-          Oui, et alors ?

 

-          Eh bien, allons l’interroger, Père Fougasse, où se trouve votre fontaine magique ?

 

-          Elle est là-bas, penchez-vous un peu sur la gauche et vous la verrez, là, tout au bout du chemin

 

-          Je vois, dit Jacques, on vous laisse nos affaires et nos sacs et on revient bientôt

 

-          D’accord, dit le Père Fougasse, mais ne tardez pas, car mes bureaux ferment à 17 heures pile

 

-          On se dépêche et on revient, dit Juliette

 

 

 

 

 

 

 

19

 

 

 

 

 

Au bout d’un petit quart d’heure de marche, nous nous trouvâmes devant la fameuse fontaine dont l’intérieur était en effet tapissé de petites algues vertes semblables à des feuilles de menthe, mais en plus petit. Le puits paraissait très profond. Un seau en métal était accroché à une poulie qui semblait descendre très loin dans la terre, car on apercevait en bas une surface stagnante d’une eau assombrie par les profondeurs du puits, mais qui, une fois tirée, avait la couleur limpide de celle que nous avait offert le père Fougasse.

 

-          Bon, dis-je, si tu nous as conduits ici, c’est sans doute que tu as tes raisons ?

 

-           On dit que la vérité sort du puits, et d’une fontaine magique, encore bien davantage, non ? On va appeler !

 

Jacques, prenant la belle voix de ténor qui fut la sienne pendant vingt ans à la chorale de notre village, se pencha du mieux qu’il put et cria :

 

-          Coucou, il y a du monde, en bas ?

 

-          Attention, dit Juliette, ne te penche pas trop, tu pourrais tomber au fond !

 

-          Il y a quelqu’un ? Répondez si vous m’entendez ! Répéta Jacques

 

-          Hou hou ,hou hou,  s’époumona Juliette

 

-          Hou hou, répétai-je derrière elle

 

Mais aucun bruit ne se fit entendre.

 

Nous commencions à désespérer et à songer à revenir sur nos pas quand soudain, derrière moi, un petit bruit se fit entendre. Je me retournai brusquement et quelle ne fut pas ma surprise de découvrir à mes pieds un petit être charmant, mi elfe mi femme, qui devait mesurer 50 cm à tout casser et qui s’adressa à nous d’une petite voix flutée et incroyablement douce :

 

-          Vous cherchez quelque chose, messieurs-dames ?

 

Juliette n’en croyait pas ses yeux, ses prunelles écarquillées laissaient deviner son immense étonnement qui était bien à la mesure du nôtre. Jusque-là, je n’avais vu ce genre de créatures que dans les livres fantastiques, les ouvrages sur les fées ou quelques albums illustrés pour les enfants. Jamais je n’aurais pu imaginer rencontrer un tel personnage  en ces lieux si froids et si hostiles. Nous étions tellement interloqués qu’aucun de nous n’eut l’idée de lui répondre. Nous la dévisagions en silence et j’eus le temps de détailler son costume qui se composait d’une tunique bleu lilas ou parme très courte, échancrée en bas et laissant apparaître en haut du côté gauche une jolie petite épaule bien ronde à l’incarnat d’un rose délicat et tout à fait charmant. Mais ce qui nous surprit le plus, ce fut deux paires d’ailes qui nous parurent démesurées par rapport à sa petite taille. Elles étaient assorties à sa toilette, mais dans une nuance plus soutenue et sur deux d’entre elles apparaissaient  deux ocelles d’un jaune vif qui tranchait joliment avec le reste de sa tenue. Ses longs cheveux d’un blond très pâle étaient sertis d’un bandeau également violet. Enfin, et c’est peut-être ce qui m’intrigua le plus, elle semblait être entourée d’un halo de lumière qui la rendait encore plus mystérieuse et plus étrange.

 

-          Alors, on ne me répond pas ?

 

-          Excusez-moi, madame, nous sommes tellement surpris par votre présence

 

-          Et pourtant, j’ai cru comprendre que vous me cherchiez ?

 

-          Heu, on ne savait pas… nous attendions de l’aide du fond du puits, et…

 

-          Et vous m’avez trouvée, vous êtes déçus ?

 

-          Oh non, bien au contraire,  vous êtes tellement ravissante

 

-          Vous êtes belle, dit Juliette, pleine d’admiration

 

-          Merci mademoiselle Juliette…

 

-          Vous connaissez mon prénom ?

 

-          Comment ne pas vous connaître, tant d’habitants de ces lieux m’ont parlé de vous !

 

-          En bien, j’espère !

 

-          Je sais, quelques-uns ont critiqué votre toilette, moi je vous trouve splendide, j’ai une tenue qui ressemble un peu à la vôtre, mais avec quelques tailles en moins, vous vous en doutez !

 

-          Vous ne m’avez pas dit votre nom ?

 

-          Je suis la fée Minine, c’est moi qui ai en charge cette partie de la grotte, je surveille la fontaine pour qu’elle soit toujours aussi limpide et consommable par tous. Quand quelques voyageurs s’égarent, comme vous, eh bien, ils peuvent s’abreuver à l’eau du puits, sans risquer quelque grave maladie !

 

-          Le père Fougasse nous a généreusement donné de l’eau tout à l’heure, nous devons le retrouver tantôt et lui rapporter la réponse à l’énigme, auriez-vous par hasard une petite idée sur la réponse?

 

La fée Minine cligna légèrement de ses yeux très bleus en arborant un sourire radieux, illuminé par deux rangées de dents parfaitement alignées, je n’imaginais pas qu’il existe sur (sous) terre un être aussi gracieux et aux mensurations aussi parfaites. Jacques n’avait pas prononcé un mot, cette présence surnaturelle semblait le rendre mal à l’aise et il laissait aller son regard sur une ligne lointaine et imaginaire.

 

-          C’est un secret, dit  la fée Minine.

 

-          Oui, je m’en doute, dit Juliette, mais pour nous, vous allez bien faire un effort et nous le révéler ! Notre sort en dépend, vous savez !

 

-          C’est ce que je fais, dit la fée, le mot que vous cherchez, c’est le mot SECRET !

 

-          Mais on ne vous a pas encore posé l’énigme !

 

-          Je sais, mais le père Fougasse aime simplifier les choses, il pose la même énigme à tout le monde

 

-          Ah ça, alors, quel feignant, dit Juliette !

 

-          Juliette, je t’en prie, un peu de correction envers le père Fougasse, il est vieux et fatigué, dis-je, pour tenter d’arranger les choses

 

-          Oh, ne  la grondez pas,  dit la fée, votre fille est tellement charmante

 

-           Bon sang, SECRET, mais c’est bien sûr, dit Jacques, qui se décidait à revenir parmi nous, j’aurais dû trouver…

 

-          Quand on sait, ça devient facile, dis-je

 

-          Oh merci, madame la fée, dit Juliette, je penserai à vous toute ma vie !

 

-          C’est gentil, Juliette, moi non plus, je ne t’oublierai pas, je sais que tu as été d’un grand courage pendant toute cette aventure ! Allez, filez rejoindre le père Fougasse, il doit s’impatienter !

 

-          Au revoir madame la fée, dit Juliette

 

-          Au revoir mes amis, je ne vous dis pas à bientôt, je suis sûre que vous êtes impatients de vous retrouver dehors !!

 

-          Ah ça, c’est certain, dis-je, nous aurons bien mérité notre bain de soleil !

 

 

 

****

 

 

 

-          SECRET, hurla Juliette, avant même que nous ne soyons en vue du rocher du père Fougasse

 

-          Tu es bien pressée, dis-je, attends au moins que nous soyons arrivés

 

-          Si ça se trouve, il est sourd, dit Jacques, pas besoin de s’époumoner !

 

-          Alors, quoi de neuf, dit le père Fougasse, qui n’avait pas bougé d’un yota

 

-          SECRET, SECRET, répéta Juliette tout émoustillée

 

-          Bon, je vois d’où vient le renseignement, mais je ne vous en veux pas, le principal, c’est de donner la bonne réponse !

 

-          Alors, on peut passer ? Demanda Juliette

 

-          Mais oui, fillette, content de t’avoir connue, je n’avais pas rencontré depuis des lustres d’enfant aussi sémillante et pétillante que toi,  ça fait du bien et ça rajeunit ma vieille carcasse…

 

-          Oh, pas si vieille, père Fougasse, vous êtes encore bien conservé pour votre âge !

 

-          Bon, ne te fatigue pas, à mon âge  les compliments  glissent sur moi aussi facilement qu’un bidon d’huile…Adieu vous tous et bonne chance !

 

-          Adieu Père Fougasse, et portez-vous bien encore longtemps, dit Jacques

 

 

 

 

 

 

 

 

 

20

 

 

 

 

 

Le moral était revenu. On sentait que l’aventure allait bientôt se terminer et que nous allions enfin commencer de vraies vacances, à l’air pur et au soleil et profiter pleinement des joies de la plage au bord d’un petit lac tranquille, à lire, à nager, à ne rien faire, tout simplement.

 

 

 

-          A droite, à gauche ? demanda Juliette

 

-          Plutôt à gauche, dit Jacques

 

-          Alors, allons tout droit, dis-je

 

Juliette prit la tête de notre petit groupe et selon son habitude se mit à chantonner en sautant tantôt sur un pied, tantôt sur l’autre. La grotte s’élargissait de plus en plus, l’air devenait plus respirable,  on avait l’impression d’y voir aussi plus clair, peut-être était-ce en fait simplement l’expression de notre état d’esprit et de notre moral qui s’améliorait à chaque pas. Mais peu importe, nous progressions avec une facilité que nous n’avions pas connue depuis longtemps, Jacques ne sentait plus ses douleurs,  et moi je me serais crue capable de déplacer des montagnes, si c’était le prix à payer pour  notre retour au grand air.

 

-          Regardez là-bas, dit soudain Juliette !

 

-          Je ne vois rien, dit Jacques

 

-          Moi non plus, ajoutai-je

 

-          On dirait une sorte de … de… comment dit-on, déjà ?

 

-          Ah oui, je vois, on dirait une espèce de nacelle

 

-          Ah ça alors, dit Jacques, une nacelle sous la terre, je ne m’y attendais pas, à quoi peut-elle donc servir ?

 

-          Approchons-nous de plus près, nous verrons mieux ce qu’il en est !

 

Nous marchâmes encore une dizaine de minutes jusqu’à arriver à un grand lac que nous n’avions pas vu de loin. Ses eaux profondes étaient d’un vert un peu jaunâtre et paraissaient éclairées par une lumière tombant droit du plafond. En levant les yeux, nous constatâmes qu’il s’agissait en fait de spots dispersés sur la paroi et destinés à éclairer ce magnifique endroit.

 

-          S’il y a des spots, c’est que la civilisation n’est pas loin, dit Jacques

 

-          Et cette nacelle doit bien servir à quelque chose !

 

-          Sans aucun doute, approchons-nous

 

Nous découvrîmes  sur place un engin assez curieux. En fait, la nacelle ne ressemblait pas à un gros ballon, comme la plupart des nacelles, mais avait une forme carrée et plus allongée, l’habitacle était  entouré de lattes de bois, avec au-dessus comme un petit parapluie noir pour protéger les gens. Cette nacelle était reliée à un solide filin  composé de plusieurs fils de fer de gros diamètre et activant sans doute la remontée vers la terre ferme. Ses dimensions au sol devaient lui permettre, à première vue, de contenir une dizaine de personnes.

 

-          Nous sommes sauvés, cria Jacques !

 

-          Encore faut-il trouver le moyen de remonter, dis-je

 

-          Il y aura bien quelqu’un pour l’actionner, sinon, à quoi servirait-elle, dit Juliette

 

-          Attendons et nous verrons bien, dit Jacques

 

On s’assit sur un replat d’un rocher, juste au-dessous d’un ensemble de concrétions vert jade d’une splendeur absolument époustouflante, qui de surcroit étaient encadrées par des stalactites très fines et de longueur inégale lui donnant des allures d’amphithéâtre dans un  décor d’opérette. Les lumières diffuses ajoutant encore à la beauté du spectacle, nous étions subjugués. Décidément, cette aventure nous aurait apporté bien des frayeurs et des désagréments, mais aussi beaucoup de bonheur et d’émerveillements.

 

-          Par ici, mesdames et messieurs, la visite est terminée, nous allons remonter dans quelques instants, ne vous précipitez pas, il y aura deux voyages.

 

 

 

Nous nous approchâmes lentement du petit groupe, espérant nous y glisser et nous y fondre sans se faire remarquer par son meneur. 

 

 

 

-          Hep, là, qui êtes-vous ?

 

-          Nous sommes des touristes égarés, voilà trois jours que nous tournons en rond dans ces grottes sans retrouver notre chemin

 

-          Mes pauvres gens, vous me paraissez épuisés, et la petite a l’air bien pâlotte !

 

-          C’est exact, nous n’avons fait qu’un repas en trois jours et nous avons si peu dormi !

 

-          Allez, montez, vous serez prioritaires, et s’il le faut, nous appellerons les secours à votre arrivée

 

-          Oh, merci cher Monsieur, nous vous en sommes très reconnaissants

 

Nous nous installâmes  dans le petit habitacle en compagnie de huit autres personnes qui nous regardaient avec curiosité sans trop oser nous poser de questions. Une petite fille sortit un paquet de gâteaux de son sac et le tendit à Juliette qui remercia et en avala goulument trois à la suite au risque de s’étouffer, sans oublier, bien sûr, de nous en offrir, ce que nous acceptâmes avec empressement. La remontée commença, c’était très amusant, car la cabine était munie d’un système de rotation très astucieux, en fait ce n’était pas la cabine en entier qui tournait, mais juste le plancher nous permettant ainsi, d’admirer de tous côtés les splendeurs de la grotte, qui était à cet endroit d’une profondeur impressionnante. Jamais nous ne nous serions imaginés être descendus si bas dans les entrailles de la terre. Mon dieu, quelle extraordinaire aventure avions-nous, bien malgré nous, vécu  là!

 

En quelques minutes, nous étions enfin arrivés à l’air libre. Nous pleurions de joie .Tous les visiteurs vinrent nous embrasser en y allant chacun de leur petit larme. Nous les remerciâmes de leur soutien et surtout le guide qui nous avait permis de remonter si vite du plus profond de la terre. Nous le félicitâmes pour cette petite merveille technologique que constituait la nacelle et lui promîmes de revenir un jour, mais pas tout de suite (cela paraissait évident)  et cette fois, avec un vrai billet en poche. Il nous renouvela sa proposition d’appeler les secours, mais nous lui répondîmes que pour nous, la priorité était de nous restaurer et de boire un grand verre d’eau.

 

Nous avions beaucoup de chance, car, en fait, le lac se trouvait à deux encablures de l’entrée officielle de la grotte. Il nous suffisait de descendre un petit chemin verdoyant et très agréable pour nous retrouver sur une aire réservée aux loisirs, à la baignade, à la restauration. Nous nous précipitâmes au bar pour commander à boire et à manger, des croque-monsieur, des hamburgers, des hot-dogs, des salades, des gros desserts, de la bière, du coca, nous aurions avalé la carte complète à nous trois. Notre estomac aurait mal supporté, je pense, et nous nous contentâmes de ce qu’il pouvait contenir. Ensuite, nous choisîmes une place en plein soleil (nous en avions tant manqué) et je sortis la crème solaire dont nous nous enduisîmes copieusement. Je conseillai à Juliette d’attendre un peu pour se baigner, Jacques sortit son polar, il ne lui restait que quelques pages et il avait hâte de savoir qui était l’assassin. Juliette, elle, qui avait lu les dernières lignes en cachette, le menaçait à tout instant de lui dévoiler le nom du coupable ; il dut se fâcher pour éloigner la coquine qui se permettait ainsi de perturber ses derniers instants de suspense.

 

Ensuite, l’animateur de la plage prit le micro et proposa aux enfants de venir jouer. Il fallait répondre à un certain nombre de questions ou de devinettes. Juliette me demanda si elle pouvait s’inscrire, je répondis oui avec enthousiasme, sachant combien elle avait besoin de se distraire après une épreuve aussi longue et harassante, physiquement comme psychiquement. Moi, je m’endormis d’un sommeil que rien ni personne n’aurait pu interrompre. Quand je me réveillai, Jacques était dans l’eau et Juliette devait avoir trouvé quelques copines pour jouer. Les animations semblaient avoir cessé, il n’y avait d’ailleurs plus grand monde sur la plage.

 

 Tout à coup, je vis, ne l’ayant pas remarquée tout de suite, une enveloppe blanche posée sur la serviette de Jacques à côté de moi. L’enveloppe ne comportait pas d’adresse, ni de nom de destinataire, juste un numéro. Mon premier réflexe fut de l’ouvrir, d’ailleurs, elle n’était pas fermée hermétiquement, il aurait suffi de relever le rabat pour en découvrir le contenu ; mais je m’abstins, attendant que l’un ou l’autre (Jacques ou Juliette) ne m’en fournisse l’explication. J’étais tout de même intriguée, et plusieurs fois je dus résister à la tentation de l’ouvrir avant leur retour. Jacques, tout ruisselant arriva le premier ; il voulut s’emparer de la serviette.

 

-          Attention, criai-je, ne mouille pas l’enveloppe !

 

-          Quelle enveloppe ? demanda Jacques

 

-          Ah, tu n’es pas au courant ?

 

-          Mais non, elle n’y était pas quand je suis parti me baigner

 

-          C’est donc peut-être à Juliette ? Ah, Juliette, te voici !

 

-          Ben dis donc, maman, dit Juliette, j’ai cru que tu ne te réveillerais jamais, alors, cet assassin, c’était bien George Smith, hein papa ?

 

-          Oui, dit Jacques, mais ne t’avise pas de recommencer, sinon gare à tes fesses, si tu me refais un tour pareil, crois moi que je me vengerai et que tu ne riras pas autant qu’aujourd’hui…

 

-          Juliette, connais-tu la provenance de cette enveloppe ? Demandai-je 

 

-          Bien sûr, dit Juliette, j’ai bien répondu aux questions, tu penses, les énigmes, c’est fastoche pour moi maintenant !

 

-          Tu as gagné un lot, mais quoi ?

 

-          Ben, c’est la surprise, ouvrez l’enveloppe et vous verrez bien

 

Je pris l’enveloppe délicatement entre mes mains, soulevai le rabat et en extirpai un petit papier blanc rectangulaire sur lequel une main appliquée avait écrit :

 

 

 

 

BON POUR UNE VISITE

 DES GROTTES DE LASCAUX

(valable pour trois personnes)

 

 

 

 

-          Ca, c’est bien notre veine, dit Jacques, en éclatant de rire.

 

 

 

FIN

 

 

© claude Ammann , Varangéville, 8 septembre 2014

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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